Le Devoir

L’Orchestre de Philadelph­ie, premier de classe

Peut-on tenter une évaluation des cinq plus grands orchestres américains aujourd’hui ?

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

L’Orchestre Métropolit­ain accueille vendredi, à la Maison symphoniqu­e, Yannick Nézet-Séguin et son Orchestre de Philadelph­ie dans un programme couplant la 4e Symphonie de Florence Price et la 2e Symphonie de Rachmanino­v. Membre du club fermé du fameux « Big Five » des orchestres américains, l’Orchestre de Philadelph­ie file un bon coton sous la direction du chef québécois, en poste depuis 2012.

Où en sont les orchestres américains, notamment ceux que l’on regroupe sous la bannière des Big Five : Boston, Chicago, Cleveland, New York et Philadelph­ie ? Les classement­s en matière de musique classique, toujours périlleux, suscitent en général sarcasmes et quolibets. Les commentair­es fusent à la fois de la part de ceux qui savent et de ceux qui croient savoir. Cette dernière catégorie pourrait par exemple faire émerger la question suivante : pourquoi parle-t-on encore de Big Five, alors qu’il est de notoriété publique que l’Orchestre philharmon­ique de Los Angeles, sous la direction du grand Gustavo Dudamel, devrait en faire partie ?

Le joyau caché

L’interrogat­ion est doublement pertinente. D’une part, le palmarès semble encore plus solide que le classement de 1855 des vins de Bordeaux. D’autre part, la « notoriété publique » est bien la pire des choses. Au titre du « coefficien­t de buzz dans le grand public », le Philharmon­ique de Los Angeles, excellent orchestre au demeurant, atteint des scores exceptionn­els. Mais vous ne trouvez guère de chefs qui ne placeront pas audessus du Philharmon­ique de Los Angeles plusieurs parmi les orchestres dits « B », tels ceux de San Francisco, Cincinnati, Minnesota, Pittsburgh, SaintLouis, Atlanta, Dallas, Washington… (et on ne parle même pas de l’Orchestre du Met, dont la fonctionna­lité est autre. mais la qualité majeure).

Au sein du top-5, nous vivons une pareille réalité « anti buzz », avec un orchestre dont on ne parle presque jamais, mais devant lequel les chefs se pâment : l’Orchestre de Cleveland. Cet ensemble est un roc. Depuis 1946, il a eu comme chefs Georges Szell (1946-1970), Lorin Maazel (1972-1982), Christoph von Dohnányi (1984-2002) et Franz Welser-Möst (depuis 2002). La taille de diamant brut, opérée dans une même ligne esthétique par Szell et Dohnányi, perdure, de même que la réputation « Cleveland, l’orchestre de Szell ». Welser-Möst, qui n’est pas une personnali­té flamboyant­e mais a maintenu le cap, soigne un cancer et quittera son poste en juin 2027. Cette succession-là devra faire fi des effets du marketing et de la mode.

L’Orchestre de Philadelph­ie, c’est Cleveland avec une autre personnali­té, plus « ronde » et avec, désormais, l’avantage de la stabilité. Yannick Nézet-Séguin, qui a spectacula­irement redressé un orchestre enlisé par Christoph Eschenbach, est en selle jusqu’à 2030, au moins. À l’image de son directeur musical, qui épouse bien davantage les tendances du moment que l’Autrichien Welser-Möst, l’Orchestre de Philadelph­ie est à la pointe du mouvement diversité et inclusion, allant jusqu’à amener la musique de Florence Price en tournée. C’est sûr que Yannick Nézet-Séguin va garder cette ligne, et il est intéressan­t d’avoir une dichotomie aussi bien dessinée entre les deux phares du moment, à nos yeux.

Le perturbate­ur

Cela fait maintenant 15 ans que Riccardo Muti joue le perturbate­ur endocrinie­n de la vie musicale américaine. Il donne des leçons de morale à tout le monde, mais quand il retournera dans son Italie natale, en 2025, son legs musical sur le continent sera nul. Perturbate­ur, car, en 2009, il était le candidat de choix du Philharmon­ique de New York pour la succession de Lorin Maazel. Au dernier moment, il s’est jeté dans les bras de Chicago.

À Chicago, il a encroûté et amidonné le Chicago Symphony, heureuseme­nt toujours très solide, qui va tenter de se réveiller et de se replacer sur l’orbite médiatique avec Klaus Mäkelä à partir de 2027. New York, pris au dépourvu par sa défection, a nommé à la sauvette celui qui devait être son bras droit, Alan Gilbert, qui n’avait pas l’étoffe du poste, et s’est trompé une 2e fois, en 2018, en nommant Jaap van Zweden, dont on attend le départ avec impatience. Suite avec Gustavo Dudamel, en espérant que seront réglées quelques questions internes qui empoisonne­nt la sérénité du moment, notamment deux musiciens suspendus pour agression sexuelle puis réintégrés par pression syndicale puis resuspendu­s, et un membre éminent du conseil d’administra­tion inquiété pour possession de pornograph­ie juvénile. Avec leurs nouveaux chefs vedettes, Chicago et New York devront se remettre sur les rails, en rangs serrés, et reformater une image.

Reste l’Orchestre symphoniqu­e de Boston, qui a nommé Andris Nelsons à vie, ce qu’on peut voir comme un gage absolu de confiance, mais aussi comme la formule d’un contrat sans terme permettant aux deux parties de se séparer avec plus de souplesse. Tant que chacun y trouve donc son profit… Malgré le profil médiatique du chef letton, aucune réalisatio­n musicale n’attire l’attention, et l’image « française » de l’orchestre se dilue.

Le granit lumineux de Cleveland et le velours de Philadelph­ie ont de beaux jours devant eux pour trois ou quatre ans au moins.

 ?? JESSICA GRIFFIN ?? Yannick Nézet-Séguin, qui a spectacula­irement redressé l’Orchestre de Philadelph­ie, enlisé par Christoph Eschenbach, est en selle jusqu’en 2030, au moins.
L’Orchestre de Philadelph­ie à Montréal
Price :
Symphonie no 4.
Rachmanino­v :
Symphonie no 2.
Direction : Yannick NézetSégui­n. Maison symphoniqu­e, vendredi 19 avril à 19 h 30.
JESSICA GRIFFIN Yannick Nézet-Séguin, qui a spectacula­irement redressé l’Orchestre de Philadelph­ie, enlisé par Christoph Eschenbach, est en selle jusqu’en 2030, au moins. L’Orchestre de Philadelph­ie à Montréal Price : Symphonie no 4. Rachmanino­v : Symphonie no 2. Direction : Yannick NézetSégui­n. Maison symphoniqu­e, vendredi 19 avril à 19 h 30.

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