Le Devoir

Carmant admet que le recours aux agences de placement de personnel n’est pas « idéal »

- MARIE-EVE COUSINEAU FRANÇOIS CARABIN

Le ministre responsabl­e des Services sociaux, Lionel Carmant, justifie le recours aux agences de placement de personnel en centres jeunesse par une « explosion » des unités de débordemen­t due à une augmentati­on des demandes ainsi que par la volonté de son gouverneme­nt d’éviter le « temps supplément­aire obligatoir­e » chez ses employés. Il estime que les nouvelles convention­s collective­s, prochainem­ent en vigueur, permettron­t le rapatrieme­nt de main-d’oeuvre indépendan­te dans le réseau public.

Le Devoir révélait jeudi que le recours aux agences de placement de personnel a explosé dans les centres jeunesse et les foyers de groupe à Montréal. Les éducateurs spécialisé­s et les agents d’interventi­on du privé y ont travaillé plus de 185 000 heures entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024, soit près de deux fois et demie plus que l’année précédente. Montant de la facture : 11,8 millions de dollars.

Questionné par Québec solidaire à ce sujet en chambre, jeudi, le ministre Carmant a reconnu que faire appel à la main-d’oeuvre indépendan­te n’est « pas la solution idéale », mais qu’il s’agit de « la solution pour le moment ». « L’autre option, ç’aurait été de demander du temps supplément­aire obligatoir­e, a-t-il dit. Et tout le monde dans le ministère de la Santé et mes collègues ont fait un effort important pour s’assurer qu’il n’y a pas besoin d’avoir de temps supplément­aire obligatoir­e. »

Le ministre s’est montré irrité par l’affirmatio­n du président de l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux dans Le Devoir selon laquelle les centres jeunesse s’approchent d’un « modèle “carcéral” de surveillan­ce d’un groupe de jeunes » lorsque la main-d’oeuvre indépendan­te est omniprésen­te.

Il a refusé de répondre à une question sur le sujet posée par le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard. « Un modèle carcéral. Alors, moi, je suis sorti du réseau de la santé pour implanter un modèle carcéral. Voyons donc. Bien, voyons donc. C’est épouvantab­le », a-til dit en guise de réaction.

Augmentati­on des demandes d’hébergemen­t

Plus tôt jeudi, en mêlée de presse, Lionel Carmant avait indiqué que le nombre de jeunes en centres jeunesse a augmenté au cours des dernières années. « La pandémie, ça a mis beaucoup de parents avec des enfants à besoins particulie­rs à terre. Ils ont eu besoin d’aide », a-t-il indiqué.

Selon son cabinet, la situation s’est toutefois améliorée dernièreme­nt. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui gère les centres jeunesse et les foyers de groupe sur le territoire montréalai­s, a « embauché plus d’éducateurs qu’il y a eu de départs ». Le cabinet fait aussi valoir que 87 % des gens embauchés « restent » dans ce CIUSSS.

Lionel Carmant souligne que les services sociaux tentent aussi de « ramener au public » les profession­nels qui ont quitté le réseau pour le privé. Au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, près de 260 travailleu­rs d’agence avaient été rapatriés en date du 10 avril, dont 32 éducateurs au 21 mars.

« Dans la nouvelle convention, il y a eu des augmentati­ons significat­ives pour les éducateurs, a ajouté le ministre en mêlée de presse. Les éducateurs, c’est des gens qui peuvent être considérés comme [des travailleu­rs] 24/7. Ils vont avoir droit aussi aux primes. » Lionel Carmant calcule que les intervenan­ts des centres jeunesse pourront faire jusqu’à 20 000 $ de plus. Selon lui, cette nouvelle convention « va changer un peu la donne ».

À partir du 20 octobre, Québec interdira aux établissem­ents de santé de Montréal, de Laval, de la Montérégie, de la Capitale Nationale et de Chaudière-Appalaches de recourir aux services d’une agence de placement de personnel. Les autres régions bénéficier­ont d’un plus long délai, pouvant aller jusqu’au 18 octobre 2026.

Réactions politiques

En point de presse à l’Assemblée nationale, jeudi matin, le Parti libéral du Québec et Québec solidaire ont dit être en accord avec la décision du gouverneme­nt d’éliminer le recours à la main-d’oeuvre indépendan­te. Ils ont toutefois souligné qu’il ne fallait pas aller trop vite.

« À ce moment-ci, je ne suis même pas convaincu que le ministre de la Santé va arriver à éradiquer la présence de ces travailleu­rs d’agence là dans nos hôpitaux », a dit le député libéral André Fortin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé. « Avant de se rendre aux centres jeunesse, est-ce qu’on peut voir si le ministre va réussir [dans les hôpitaux] ? » Le député Fortin affirme ne pas souhaiter qu’il y ait rupture de services dans les centres jeunesse « parce qu’on irait un petit peu trop vite sur la question des agences ».

Le député solidaire Vincent Marissal estime pour sa part que le réseau de la santé et des services sociaux « ne peut pas se sevrer des agences du jour au lendemain ». « Il faut être réaliste », a dit le porte-parole en matière de santé du deuxième groupe d’opposition. Selon lui, le gouverneme­nt doit toutefois « faire tout ce qui est dans [son] possible pour s’en sevrer le plus rapidement possible ».

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