Les retrouvailles
Ce n’est pas tous les jours qu’un premier ministre français visite le Québec. Ce n’est pas tous les jours non plus que le Québec est l’invité du Festival du livre de Paris. S’il faut se fier à ce qui s’est passé la semaine dernière, il n’est pas exagéré de parler de retrouvailles. Tant il est vrai que l’amitié entre deux peuples comme entre deux personnes ne saurait exister sans une forme de retrouvailles perpétuelles.
On pourrait même ajouter qu’il était temps. Après une interruption de six ans et quatre reports successifs, la rencontre alternée des premiers ministres a enfin eu lieu. Mais surtout, Gabriel Attal avait beau être le plus jeune premier ministre de la Cinquième République, il a su s’inscrire avec brio dans le sillage de ses prestigieux prédécesseurs.
Disons-le d’emblée, le premier ministre français n’a pas démérité. Sachant le peu d’intérêt que son président, Emmanuel Macron, porte au Québec et à la défense de la langue et de la culture françaises, on pouvait s’attendre au pire. Son discours fut au contraire le signe que, malgré un réel effritement de sa diplomatie, la Cinquième République est encore capable de rester fidèle à la tradition instaurée par son fondateur. En France, un premier ministre peut aussi s’écarter de la ligne de son président. C’est ce qu’avait fait François Fillon en 2008 lors du 400e anniversaire de la fondation de Québec en y prononçant l’un des plus beaux discours de l’histoire de nos relations.
Devant les représentants du peuple québécois, Attal a su évoquer les racines qui font qu’une partie du destin des Français et des Québécois sera toujours irrémédiablement liée. Au coeur de ce destin commun, il y a l’histoire, bien sûr, la langue, évidemment, la culture, de toute évidence, mais plus encore. En cette époque qui signe le retour des guerres de religion, le premier ministre français a eu raison de parler laïcité. Ce mot que la langue anglaise ne sait même pas nommer nous distingue sur tout le continent. Comme il distingue la France en Europe. Comme nous distingue aussi cette volonté de ne pas sombrer dans le communautarisme islamiste ou anglo-américain et de préserver tout son sens au beau mot de nation.
Ce retour du politique dans nos relations est plus que bienvenu. De même a-t-on eu raison de rappeler au premier ministre que, lors des deux derniers référendums, la France avait choisi d’« accompagner » le Québec quel que soit son choix. Refuserait-elle de le faire à nouveau qu’elle trahirait non seulement le Québec, mais aussi le sentiment qui sommeille dans le coeur des Français de toute appartenance politique.
Devant les représentants du peuple québécois, Attal a su évoquer les racines qui font qu’une partie du destin des Français et des Québécois sera toujours irrémédiablement liée. Au coeur de ce destin commun, il y a l’histoire, bien sûr, la langue, évidemment, la culture, de toute évidence, mais plus encore.
La venue d’une quarantaine d’écrivains au Festival du livre de Paris, dont le Québec était l’invité, fut aussi un succès. Partout dans la presse, le Québec a été à l’honneur. On ne peut que se réjouir de cette solidarité culturelle à une époque où les médias de masse américains exercent une domination sans partage sur le monde culturel, et tout particulièrement sur la jeunesse.
Le succès de plusieurs jeunes maisons d’édition québécoises en France, qui ont choisi d’y distribuer directement leurs livres au lieu d’en vendre les droits, démontre combien les Français n’imaginent plus la littérature francophone sans nous.
Reste une étrange impression. Presque un malaise. À feuilleter le cahier spécial que publiait le quotidien Libération et à flâner entre les livres empilés sur les tables, on aurait pu penser que les auteurs québécois n’avaient d’intérêt que parce qu’ils étaient les plus progressistes, les plus féministes, les plus écologistes, les plus queer, les plus #MeToo, les plus immigrationnistes, les plus « ouverts » à la langue « inclusive », à l’homosexualité, à la transidentité et aux « sensitivity readers ». Et quoi encore ! Je sais bien que les cahiers littéraires ont tendance, en France comme au Québec, à ressembler à des catalogues de revendications sociétales. Mais tout se passe comme si certains pensaient que le fait d’être les héritiers de
450 ans d’une histoire exceptionnelle ne suffisait pas à susciter l’intérêt de nos cousins et qu’il fallait rivaliser de gauchisme pour nous rendre intéressants. Comme si nous avions quelque chose à apprendre aux fans de Jean-Luc Mélenchon et de Christine Angot.
Il y a dans cette surenchère un relent d’esprit colonisé. À l’époque, face à cette France impie, nos grenouilles de bénitier ne se disaient-elles pas plus catholiques que le pape ? Duplessis aimait d’ailleurs présenter les habitants de sa « Belle Province » comme des « Français améliorés ». Soixante ans plus tard, ce n’est plus le catholicisme qui fait recette, mais le gauchisme. Le procédé est pourtant exactement le même. Il exprime un étrange mépris de ce que nous sommes.
Car, n’en déplaise aux dévots d’hier et aux militants d’aujourd’hui, ce n’est pas d’abord pour ses vertus progressistes que notre littérature est appréciée en France. Mais simplement parce qu’elle est le reflet d’un peuple à l’histoire exemplaire et d’une langue qui n’est ni plus ni moins « libre » que les autres, mais dont la saveur est unique. Transformer l’acte d’écrire en geste idéologique a toujours signé la mort de la littérature.