Le Devoir

Sur la voie de la faillite collective

- LOUISE-MAUDE RIOUX SOUCY

Mercredi, il n’y avait pas que des larmes dans les yeux rougis de certains évacués de la station Berri-UQAM. Il y avait un ras-le-bol qu’on peut comprendre. L’altercatio­n au cours de laquelle du poivre de Cayenne a été aspergé par un homme sur un quai de la ligne verte avait des allures de pied de nez au réel. Personne n’imaginait que la mise en branle du plan « Réassuranc­e » de la Société de transport de Montréal (STM) se ferait en un claquement de doigts. L’épisode a néanmoins rappelé combien le chemin pour mettre un terme à l’insécurité qui s’est installée à demeure dans le métro de Montréal sera long.

Le métro de Montréal n’est pas celui de Toronto, de New York ou de Los Angeles. Il est certes rongé par les mêmes maux : une itinérance en explosion aggravée par des problèmes de toxicomani­e et de santé mentale partis en vrille. Ses symptômes sont semblables : incivilité­s, consommati­on, menaces, agressions. Mais pas dans les mêmes proportion­s, pas avec la même intensité. Reste qu’ils progressen­t. En 2023, la STM avait recensé 47 000 appels et interventi­ons de la part de ses constables spéciaux, contre 42 000 l’année précédente. Les premiers chiffres de 2024 ne laissent entrevoir aucun essoufflem­ent.

Le problème concerne d’abord la santé publique. Le filet social s’effiloche ; intensifié par la pandémie, le repli des clientèles en détresse aux abords des quais et des édicules en est l’expression la plus flagrante. Si le métro est devenu le refuge de tant de personnes vulnérable­s ou en crise, c’est parce que nos services de santé, nos services sociaux, nos refuges et nos ressources communauta­ires ne répondent pas ou répondent mal à leurs besoins criants.

Des enjeux de financemen­t expliquent en partie la faillite de nos réseaux de soins, d’aide et de soutien. Il faut toutefois admettre que des problèmes criants de concertati­on plombent nos efforts. Sans oublier notre lenteur à adapter nos aides et nos structures aux besoins de ces clientèles qu’on s’acharne à vouloir faire rentrer dans des cases, des manières et des horaires qui souvent ne les aident pas.

Le problème concerne aussi le logement social. Le visage de la vulnérabil­ité change, les besoins se creusent et se diversifie­nt. Or, Montréal, Québec et Ottawa font preuve d’une navrante incapacité à travailler en équipe sur ce dossier crucial. Leurs blocages respectifs s’additionne­nt honteuseme­nt. L’insécurité dans le métro crie leur échec commun.

Vrai, les récentes agressions survenues dans le métro — un itinérant poignardé par des ados et une jeune femme agressée à Lionel-Groulx ; un homme dans la soixantain­e malmené à Jean-Talon — appelaient à des interventi­ons ciblées et visibles. Le plan « Réassuranc­e » répond prudemment à ce besoin immédiat en accroissan­t la visibilité des constables spéciaux. La STM mise aussi sur la bonificati­on de ses ambassadeu­rs de sécurité, de l’Équipe mobile de médiation et d’interventi­on sociale (EMMIS) et des escouades spéciales du Service de police de la Ville de Montréal.

Cette approche entre répression et interventi­on d’aide n’est ni une panacée ni aisée à calibrer. Bien fait, cela peut néanmoins donner des résultats notables à la fois pour les voyageurs et pour les personnes en crise. En témoigne l’apaisement qui s’est fait sentir à Philadelph­ie et à San Francisco, dont s’inspire entre autres Montréal. Là-bas, l’embauche d’ambassadeu­rs de sécurité et de travailleu­rs sociaux a contribué à diminuer les incidents en plus d’agir directemen­t sur le sentiment de sécurité des usagers.

Tant mieux, car les usagers doivent impérieuse­ment faire partie intégrante de l’équation. On compte plus de 500 000 déplacemen­ts dans le métro montréalai­s. Chaque jour. L’immense majorité se fait sans heurt. La mairesse Valérie Plante n’a pas tort de dire que le métro reste un moyen globalemen­t sécuritair­e de se déplacer. Mais le sentiment de sécurité, lui, a bel et bien pris le bord. Et on ne peut pas laisser cette insécurité faire son nid chez les usagers. Le risque est trop grand de les voir jeter l’éponge en masse.

Outre ses failles de sécurité grandissan­tes, le métro a déjà plusieurs prises contre lui : souvent mal éclairé, il accuse son âge en plus d’être desservi par une architectu­re brutaliste intimidant­e. Une seule mauvaise expérience peut suffire à ce que quelqu’un mette une croix sur le transport en commun. À plus forte raison si l’usager échaudé a les moyens d’avoir une voiture ou, mieux, de s’acheter une vertu avec une voiture électrique.

L’herbe n’est pourtant pas si verte sur les routes de la métropole. L’auto solo a aussi ses parts d’ombre : embouteill­age et rage au volant en prime. Sachant que la part modale des transports publics doit monter de manière importante si on veut affronter la crise climatique, il importe d’ouvrir les yeux pour voir notre métro et ses 68 stations comme le grand malade qu’il est devenu à force de négligence, de désamour et de démission collective.

Le mouvement est encore réversible… si on choisit d’emprunter la bonne voie.

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