Le Devoir

Je regarde, donc je suis

L’animatrice et autrice Émilie Perreault allie simplicité, candeur et bonhomie dans La suspension consentie de l’incrédulit­é

- SOPHIE POULIOT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

À en croire son spectacle solo, Émilie Perreault fait partie de cette race d’individus, mythique aux yeux de certains, qui ne pratiquent pas le métier de journalist­e culturel ou de critique par dépit, mais bien par ferveur. Dans La suspension consentie de l’incrédulit­é, dont le titre est emprunté au concept élaboré au XIXe siècle pour décrire le choix que fait le public de croire à ce qui lui est présenté sur scène, l’animatrice et autrice partage la foi qu’elle a en l’art, en ses facultés bienfaisan­tes, voire salvatrice­s. Plus encore, elle ennoblit le statut de spectateur en s’intéressan­t à ses motivation­s, à ce qu’il représente pour les artistes ainsi qu’à la teneur de l’expérience spectatori­elle.

Alliant simplicité, candeur et bonhomie, celle qui se définit comme n’étant pas une artiste, mais comme une personne qui ne saurait vivre sans art ira d’anecdotes autobiogra­phiques en extraits d’entrevues pour illustrer l’origine et l’amplitude de son appétence envers la culture. Le tout avec la dose d’humour et surtout d’autodérisi­on qui s’impose afin que le résultat n’apparaisse pas didactique, pompeux ou narcissiqu­e, écueils savamment évités. En cela, elle est aidée par les voix enregistré­es de quelques collaborat­eurs, dont Marc Labrèche, qui se charge d’expliquer sur un ton ludique les notions théoriques évoquées.

La partie la plus singulière de cette prise de parole est certaineme­nt celle où Perreault dissèque l’acte de regarder un spectacle, la « spectature » : le vif déplaisir que l’on ressent quand son partenaire de sortie n’apprécie pas la propositio­n artistique à laquelle on l’a convié, le désir irrépressi­ble de partager son enthousias­me à la suite d’une prestation, le bien-être providenti­el de s’abandonner à la fiction lorsque les lumières s’éteignent au-dessus des gradins.

Notons par ailleurs que ceux qui ont lu Service essentiel et Faire oeuvre utile pourraient ne pas vivre une expérience aussi stimulante que les autres, car une vaste part du matériel constituan­t cette production théâtrale en est extraite. Pour les lecteurs assidus de l’autrice, puisqu’il ne s’agit pas de l’adaptation d’un roman ou d’une nouvelle, mais d’emprunts à des ouvrages de théorie et de témoignage­s, il en résulte une impression de déjà-vu, de redite.

Par ailleurs, si les récits consacrés à démontrer à quel point une oeuvre donnée peut toucher tout particuliè­rement un individu prêchent sans doute essentiell­ement auprès de convertis — réunis pour ce 5 à 7 dans la coulisse du théâtre Duceppe —, on ne peut qu’imaginer à quel point La suspension consentie de l’incrédulit­é atteindrai­t sa pleine portée s’il était présenté dans les écoles et les cégeps.

On saura gré à l’animatrice radiocanad­ienne, qui a bénéficié des conseils dramaturgi­ques de Jean-Philippe Lehoux, d’assumer pleinement son parti pris : elle aime les arts et croit viscéralem­ent en leur nécessité. Ces conviction­s exemptes de cynisme et de faux-semblant, livrées en toute impudeur, se révèlent douces à entendre, vivifiante­s même.

Le choix d’une mise en scène épurée (signée Charles Dauphinais), où la soliste tantôt assise tantôt debout s’adresse, à la fois humble et lumineuse, à son auditoire, semble avoir coulé de source. Au fil de la représenta­tion, néanmoins, Perreault, de plus en plus ostensible­ment, ira chercher des chaises et les alignera en deux rangées sur l’aire de jeu. L’exercice, certes quelque peu fastidieux, recèle indéniable­ment un sens métaphoriq­ue. La journalist­e crée un public sur scène comme elle participe à le faire dans la vie lorsqu’elle pratique son métier, soit en partageant l’exaltation que sème en elle la culture.

 ?? DANNY TAILLON ?? Émilie Perreault dans sa pièce présentée au théâtre Duceppe
La suspension consentie de l’incrédulit­é Texte et interpréta­tion : Émilie Perreault. Mise en scène : Charles Dauphinais. Présenté dans les coulisses du théâtre Duceppe de la Place des Arts jusqu’au 10 mai.
DANNY TAILLON Émilie Perreault dans sa pièce présentée au théâtre Duceppe La suspension consentie de l’incrédulit­é Texte et interpréta­tion : Émilie Perreault. Mise en scène : Charles Dauphinais. Présenté dans les coulisses du théâtre Duceppe de la Place des Arts jusqu’au 10 mai.

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