Je regarde, donc je suis
L’animatrice et autrice Émilie Perreault allie simplicité, candeur et bonhomie dans La suspension consentie de l’incrédulité
À en croire son spectacle solo, Émilie Perreault fait partie de cette race d’individus, mythique aux yeux de certains, qui ne pratiquent pas le métier de journaliste culturel ou de critique par dépit, mais bien par ferveur. Dans La suspension consentie de l’incrédulité, dont le titre est emprunté au concept élaboré au XIXe siècle pour décrire le choix que fait le public de croire à ce qui lui est présenté sur scène, l’animatrice et autrice partage la foi qu’elle a en l’art, en ses facultés bienfaisantes, voire salvatrices. Plus encore, elle ennoblit le statut de spectateur en s’intéressant à ses motivations, à ce qu’il représente pour les artistes ainsi qu’à la teneur de l’expérience spectatorielle.
Alliant simplicité, candeur et bonhomie, celle qui se définit comme n’étant pas une artiste, mais comme une personne qui ne saurait vivre sans art ira d’anecdotes autobiographiques en extraits d’entrevues pour illustrer l’origine et l’amplitude de son appétence envers la culture. Le tout avec la dose d’humour et surtout d’autodérision qui s’impose afin que le résultat n’apparaisse pas didactique, pompeux ou narcissique, écueils savamment évités. En cela, elle est aidée par les voix enregistrées de quelques collaborateurs, dont Marc Labrèche, qui se charge d’expliquer sur un ton ludique les notions théoriques évoquées.
La partie la plus singulière de cette prise de parole est certainement celle où Perreault dissèque l’acte de regarder un spectacle, la « spectature » : le vif déplaisir que l’on ressent quand son partenaire de sortie n’apprécie pas la proposition artistique à laquelle on l’a convié, le désir irrépressible de partager son enthousiasme à la suite d’une prestation, le bien-être providentiel de s’abandonner à la fiction lorsque les lumières s’éteignent au-dessus des gradins.
Notons par ailleurs que ceux qui ont lu Service essentiel et Faire oeuvre utile pourraient ne pas vivre une expérience aussi stimulante que les autres, car une vaste part du matériel constituant cette production théâtrale en est extraite. Pour les lecteurs assidus de l’autrice, puisqu’il ne s’agit pas de l’adaptation d’un roman ou d’une nouvelle, mais d’emprunts à des ouvrages de théorie et de témoignages, il en résulte une impression de déjà-vu, de redite.
Par ailleurs, si les récits consacrés à démontrer à quel point une oeuvre donnée peut toucher tout particulièrement un individu prêchent sans doute essentiellement auprès de convertis — réunis pour ce 5 à 7 dans la coulisse du théâtre Duceppe —, on ne peut qu’imaginer à quel point La suspension consentie de l’incrédulité atteindrait sa pleine portée s’il était présenté dans les écoles et les cégeps.
On saura gré à l’animatrice radiocanadienne, qui a bénéficié des conseils dramaturgiques de Jean-Philippe Lehoux, d’assumer pleinement son parti pris : elle aime les arts et croit viscéralement en leur nécessité. Ces convictions exemptes de cynisme et de faux-semblant, livrées en toute impudeur, se révèlent douces à entendre, vivifiantes même.
Le choix d’une mise en scène épurée (signée Charles Dauphinais), où la soliste tantôt assise tantôt debout s’adresse, à la fois humble et lumineuse, à son auditoire, semble avoir coulé de source. Au fil de la représentation, néanmoins, Perreault, de plus en plus ostensiblement, ira chercher des chaises et les alignera en deux rangées sur l’aire de jeu. L’exercice, certes quelque peu fastidieux, recèle indéniablement un sens métaphorique. La journaliste crée un public sur scène comme elle participe à le faire dans la vie lorsqu’elle pratique son métier, soit en partageant l’exaltation que sème en elle la culture.