Le Devoir

Le budget Freeland au quotidien

- SANDY LACHAPELLE Planificat­rice financière, Sandy Lachapelle est présidente du cabinet indépendan­t Lachapelle finances intelligen­tes.

Avec toutes les annonces faites avant le dépôt officiel du budget Freeland, plusieurs ont été surpris de découvrir autant de mesures ayant un impact direct sur leur planificat­ion financière et fiscale. Même si la rumeur d’une plus grande imposition des gains en capital circulait depuis des années, c’est le 16 avril dernier qu’elle s’est concrétisé­e et qu’on a annoncé le passage du taux d’inclusion de 50 % à 66,7 %. Il s’agit de l’annonce qui a suscité le plus d’incertitud­es. Tour d’horizon à partir de vos questions.

Est-ce que je devrais vendre mes actions pour payer moins d’impôts sur le gain en capital avant le 25 juin et ensuite réinvestir sur le marché ?

Clarifions d’abord une chose : le gain en capital latent sur vos placements détenus dans des comptes enregistré­s (comme les REER, REEE, CELI, etc.) n’est pas touché par ce changement. De plus, ce n’est pas le taux d’imposition qui augmente à 66,7 %, mais bien le taux d’inclusion.

Un gain en capital de 100 000 $ était auparavant imposé sur une portion de 50 000 $, qui passera maintenant à 66 700 $. Les impôts à payer seront ensuite calculés selon votre revenu personnel. Si vous détenez des placements non enregistré­s, vous bénéficier­ez d’un seuil annuel sur lequel les premiers 250 000 $ de gain en capital demeureron­t au taux d’inclusion de 50 %. Mais si vos placements sont détenus par une société de portefeuil­le, le taux d’inclusion sera immédiatem­ent calculé aux deux tiers.

Déclencher du gain en capital par la liquidatio­n de vos placements non enregistré­s d’ici le 25 juin pourrait donc être à envisager si vous détenez vos placements dans un compte d’entreprise et que vous pensez avoir besoin de liquidités à court ou à moyen terme. Si vous voulez faire des modificati­ons à la compositio­n de votre portefeuil­le, il serait d’ailleurs pertinent de le faire ce printemps.

Sur le plan personnel, il faut bien comprendre que le montant de 250 000 $ n’est pas celui du solde de votre compte placements, mais bien le montant du gain en capital. Dans tous les cas, si vous n’avez pas besoin de vos placements pour vivre à court terme, vendre des titres pour les racheter ensuite afin de payer un peu moins d’impôts me semble une fausse bonne idée, puisque cela augmente votre exposition aux risques de volatilité du marché et vous oblige quand même à payer des impôts immédiatem­ent plutôt que de pouvoir les reporter.

J’ai une promesse d’achat sur mon duplex, détenu personnell­ement, qui générera un gain en capital de 240 000 $ avec transactio­n officielle prévue en août. Considéran­t que je paie des impôts sur mes revenus de placement, est-ce que je devrais mettre de la pression sur mes acheteurs pour passer chez le notaire avant le 25 juin, parce que j’ai peur de dépasser les 250 000 $ ?

La question est légitime. Il faudrait voir quels sont les gains en capital habituelle­ment imposés dans ce portefeuil­le, sachant qu’ils peuvent varier d’une année à l’autre selon le montant investi, la rotation du portefeuil­le, les distributi­ons des fonds utilisés, le recours à des fonds en catégorie de société ou non.

Dans ce cas-ci, l’important est que le taux d’inclusion de 66,7 % ne s’applique que sur le gain excédant le montant de 250 000 $, qui bénéficie toujours de l’ancien taux. Si la même question s’appliquait pour une entreprise, je conseiller­ais effectivem­ent de négocier une date de prise de possession hâtive avec les acheteurs.

Enfin, soyez quand même rassuré : les gains en capital liés à la vente de biens immobilier­s sur lesquels l’exonératio­n pour résidence principale a été appliquée demeurent exonérés d’impôts, quel que soit le montant des gains en capital. Du moins, pour l’instant…

Est-ce que je devrais cotiser davantage à mon REER cette année, quitte à prendre un prêt REER pour augmenter ma mise de fonds sur l’achat de ma première résidence l’an prochain ?

Parmi les mesures ayant théoriquem­ent un impact direct sur la planificat­ion financière globale des citoyens se trouve l’augmentati­on du montant admissible au retrait des REER dans le cadre du régime d’accession à la propriété, le RAP, qui passe de 35 000 à 60 000 $ par personne, avec report possible du début du remboursem­ent obligatoir­e de 2 à 5 ans après l’année du retrait.

L’objectif est de faciliter l’accès à la propriété, mais l’une de ses conséquenc­es pourrait être l’augmentati­on du fossé séparant deux personnes ayant la capacité financière de devenir propriétai­res. Car l’accès à la propriété n’est pas difficile parce que les montants admissible­s au RAP ne sont pas assez généreux. En effet, la majorité des contribuab­les ne cotisent même pas suffisamme­nt à leur REER en vue de préparer leur retraite : sachant cela, leur permettre de retirer une plus grande part de placements est-il vraiment un cadeau ?

Combinée à la possibilit­é d’étendre le paiement hypothécai­re sur 30 ans pour les propriétés neuves (et la première maison), cette formule constitue un danger pour ceux qui accusent déjà du retard en matière d’investisse­ment. Un recours théorique à un retrait important avec l’augmentati­on du RAP, combiné aux cotisation­s CELIAPP, pour acheter une résidence hors de prix, pourrait faire en sorte que la retraite dépendrait alors d’un seul actif immobilier plutôt que d’un portefeuil­le plus équilibré. De nombreux calculs ont été présentés cette semaine, je n’en rajouterai pas, mais retenez que votre premier projet immobilier gagne plus que jamais à être analysé dans le cadre d’une planificat­ion financière intégrée.

Je suis en train de vendre les actions de mon entreprise, je dois modifier quelque chose ?

Si la vente de votre entreprise devait être signée ce printemps et que vos actions sont admissible­s, vous devriez potentiell­ement attendre après le 25 juin, puisque l’exonératio­n pour gain en capital passera à 1 250 000 $ par contribuab­le. Un petit coup de fil à votre fiscaliste devrait être à votre agenda cette semaine.

Outre la vente de leur entreprise, il ne fait aucun doute que les entreprene­urs devront revoir leur planificat­ion financière, fiscale et successora­le. Avec la diminution des soldes admissible­s au compte de dividendes en capital et l’absence du seuil de 250 000 $ pour le gain en capital dans les sociétés, les impôts reportés au décès devraient devenir plus importants que prévu pour la succession.

Afin de ne pas décourager l’entreprene­uriat avec les changement­s à l’imposition du gain en capital, un nouvel incitatif aux entreprene­urs canadiens sera mis en place en janvier : il diminuera le taux d’inclusion à un tiers pour les entreprise­s admissible­s. Cette mesure ne concerne pas les entreprise­s de services de conseils ou de soins personnels, ou bien celles dans les secteurs des finances, de l’assurance, de l’immobilier, de l’hébergemen­t, de la restaurati­on, des arts, des spectacles ou des loisirs.

Si je comprends le jeu politique derrière les annonces du gouverneme­nt Trudeau, je n’appuie pas l’argumentai­re voulant que ce budget taxe « les plus riches ». Des gens aisés financière­ment contribuer­ont davantage à financer des services publics, certes, mais les vrais riches ne sont pas ceux qui ont réussi à acheter un immeuble à revenus pour financer leur retraite : ce sont ceux qui ont les moyens nécessaire­s pour s’évader là où il fait fiscalemen­t plus beau.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada