Le Devoir

« Ç’a tout disparu, progressiv­ement »

La fermeture du dernier dépanneur, en 2020, a plongé Sainte-Apolline-de-Patton, un patelin de Chaudière-Appalaches autrefois plein de vie, dans un climat de morosité

- SÉBASTIEN TANGUAY À SAINTE-APOLLINE-DE-PATTON

Àl’image d’un arbre qui se dégarnit à l’approche de l’hiver, le village de Sainte-Apolline-de-Patton a vu ses commerces pâlir, puis tomber les uns après les autres. Depuis la disparitio­n du dépanneur en 2020, la petite municipali­té nichée au coeur des Appalaches se trouve à 30 minutes de voiture aller-retour de la pinte de lait la plus proche : un déclin qui met à l’épreuve la conviction des Apollinois et des Apollinois­es à l’égard de la devise de leur patelin : « Espoir dans l’avenir ».

Le hasard doit rarement mener à Sainte-Apolline-de-Patton. Il faut, pour atteindre ce petit village situé aux confins de la MRC de Montmagny, franchir une portion de la route 216 visiblemen­t dans les mauvaises grâces du ministère des Transports. Chaque cahot qui bringuebal­e la voiture sur ce chemin fatigué évoque les cicatrices laissées par de trop nombreuses opérations de rapiéçage réalisées sur un patient qui doit attendre depuis longtemps de faire peau neuve.

Visiblemen­t, les milliards dépensés par les pouvoirs publics en réfection de bitume ruissellen­t rarement jusqu’ici.

« C’est épouvantab­le », soupire Manon Bernard, propriétai­re du seul restaurant au village, Le Répit, qui porte judicieuse­ment son nom après la traversée du tronçon ravaudé. L’état de la chaussée n’aide en rien les commerces du coin — du moins, ce qu’il en reste.

Son établissem­ent d’une quarantain­e de places offre un des derniers lieux de socialisat­ion à des kilomètres à la ronde. La région, pourtant, ne manque pas d’attrait : un coup d’oeil par la vitrine du restaurant laisse voir la majesté de la vallée qui s’étale en contrebas, où quelques touffes de forêt émergent entre champs et collines.

La beauté du paysage masque mal le désert commercial et le parfum de déclin qui embaume les environs. SainteApol­line ne compte plus aucun commerce de détail, mis à part une modeste friperie et un comptoir artisanal tenu par les vaillantes aînées du village.

L’artère marchande la plus proche se trouve désormais à Montmagny, à 50 km au nord. L’effritemen­t du tissu commercial dans le village chemine en parallèle avec la désertion de sa population. Entre 2011 et 2021, Sainte-Apolline a perdu 18,7 % de son monde quand la région de Chaudière-Appalaches, elle, connaissai­t une croissance de 5,5 %. Aujourd’hui, un peu plus de 500 âmes vivent dans ce majestueux décor — presque autant qu’en 1911, quand le village avait… neuf ans.

« Nous avions six magasins généraux »

Le patelin, pourtant, a déjà connu de meilleurs jours. Il fut un temps où magasins généraux et épiceries se conjuguaie­nt au pluriel à Sainte-Apolline. Jadis, le village avait son hôtel, sa station d’essence, ses bars, ses deux garages, ses médecins, son école pleine et même ses trois soirées théâtrales annuelles dans la salle municipale.

À l’aube des années 1950, au plus fort du régime Duplessis et des familles où les enfants se comptaient à la dizaine, quelque 1300 paroissien­s et paroissien­nes communiaie­nt chaque dimanche dans l’église qui se dresse encore aujourd’hui avec panache au coeur de Sainte-Apolline-de-Patton — malgré un chauffage à refaire et quelques fuites dans la toiture.

Le village s’échangeait les nouvelles à la sortie de la messe, puis les fidèles endimanché­s faisaient la file aux portes des boutiques jadis nombreuses. Cet âge d’or, aujourd’hui révolu, n’existe plus qu’en souvenir. Dans les locaux du comptoir artisanal, parmi les métiers à tisser, quelques dames du village filent leurs anecdotes pour dessiner la trame du passé.

« À un moment donné, nous avions six magasins généraux, se souvient Suzanne Bernard, 75 ans. Il y avait aussi des lieux de rassemblem­ent : une salle de danse, deux bars, du cinéma toutes les fins de dimanche dans la salle municipale… Il y avait vraiment un tissu social tricoté serré. »

Aujourd’hui, l’effervesce­nce d’autrefois a cédé le pas à l’ennui. « Quand je suis arrivée ici, en 1998, raconte Madeleine Dumais, 80 ans, il y avait de la vie, des jeunes, il y avait des activités. Ç’a tout disparu, progressiv­ement, petit à petit. Aujourd’hui, il n’y a presque plus rien, ça crève les yeux. »

L’école du village n’accueiller­a que 18 enfants à la rentrée — 13 au premier cycle du primaire et seulement 5 au deuxième. « Nos jeunesses, il n’y en a plus gros, déplore Lorette Lachance, 76 ans. Et tout ce qui leur reste, c’est la patinoire… »

À l’apogée de la paroisse, la voiture était encore une vision rare dans les vallons de la région. « Quand on était jeunes, à 16 ans, on n’avait pas d’auto », se souvient Thérèse Deschênes, présidente de la fabrique. L’achat local ne relevait pas d’une tendance, mais bien d’une nécessité, surtout quand l’hiver et sa neige décidaient d’ensevelir les chemins jusqu’au printemps.

« Ç’a commencé à se détériorer avec l’avènement des grandes surfaces », souligne Suzanne Bernard. Les magasins ont pris racine à Saint-Paul-de-Montminy, là où se trouvait déjà la polyvalent­e, et Sainte-Apolline a lentement mais sûrement commencé à graviter dans l’orbite de sa voisine, sacrifiant peu à peu son propre pouvoir d’attraction.

« Quand les centres d’achat ont ouvert, les gens allaient magasiner làbas en auto et les épiceries d’ici s’en sont ressenties, poursuit Suzanne. Les gens disaient : “Ce n’est pas grave, ça va revenir”, mais ce n’est jamais revenu. Avant, nous avions le choix de magasiner ici ou ailleurs. Nous l’avons perdu — depuis qu’il n’y a plus rien ici, il faut aller ailleurs. »

« Ça devient un irritant »

Manon Bernard, à l’instar des 505 âmes qui résident encore à Sainte-Apolline, doit parcourir près de 50 km pour atteindre l’offre commercial­e plus étoffée de Montmagny. Restauratr­ice, elle voyage même une fois par mois jusqu’à Lévis pour profiter des aubaines du Costco à une centaine de kilomètres de son resto.

« Il y a beaucoup de gens qui s’étonnent de ne rien trouver au village », explique-t-elle. Parfois, des motoneigis­tes s’arrêtent chez elle pour demander où trouver du pain et de l’essence. « Je dis que c’est à Saint-Paul et je les dépanne. Tu sais, ce n’est pas évident d’aller revirer là-bas en Ski-doo… »

La municipali­té a conscience qu’une action s’avère nécessaire pour enrayer sa décroissan­ce. Après une période de mésentente au sein du conseil municipal, Sainte-Apolline-de-Patton entame des démarches pour attirer un nouveau dépanneur.

« L’absence d’un commerce de proximité, ça devient de plus en plus un irritant pour notre monde et j’en entends de plus en plus parler depuis la fin de la pandémie, explique le maire Bruno Gagné. Là, on commence à se pencher sur le bobo. »

Ironiqueme­nt, dans ce village où même les journaux ne se rendent pas, la crise du logement a réussi à trouver son chemin. « Il n’y a plus de maisons et presque plus de terrains à vendre présenteme­nt sur notre territoire, poursuit le maire. Depuis la pandémie, beaucoup de gens veulent s’établir en région. La tranquilli­té, la campagne, les gens veulent retrouver ça… »

Jusqu’à un certain point, ajoute toutefois le maire. « Sans commerces, c’est difficile d’attirer des familles. On est stables, présenteme­nt, mais on ne peut pas rester stables trop longtemps. Sinon, on s’en va vers un gros déclin… »

Nos jeunesses, il n’y en a plus gros. Et tout ce qui leur reste, c’est la » patinoire… LORETTE LACHANCE

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