Le Devoir

Le Conseil des arts du Canada est-il arrivé à saturation ?

6750 demandes de subvention­s ont été déposées fin 2023, un nombre record, mais le dernier budget fédéral n’octroyait pas de fonds additionne­ls dans le but de soutenir la création

- CATHERINE LALONDE

Le Conseil des arts du Canada (CAC) brillait par son absence dans les pages du dernier budget fédéral. Pas d’argent frais pour soutenir la création alors que le Conseil a reçu un nombre record de 6750 demandes pour son programme Explorer et créer au dernier concours de 2023.

Toutes acceptées, ces demandes auraient coûté près de 215 millions de dollars, soit plus des deux tiers du budget annuel de subvention­s. Résultat : le taux de succès a été faible, de l’aveu même du CAC, à 16,6 %, alors qu’il était au plus bas à 36 % en 2022-2023. Sans réinvestis­sement, la situation ne peut se rétablir. Le Conseil des arts du Canada est-il arrivé à saturation ?

Les subvention­s versées pour le concours de l’automne totalisero­nt 36,2 millions de dollars et soutiendro­nt 1125 projets. C’est le plus grand investisse­ment que le CAC ait fait dans le cadre d’un concours du programme Explorer et créer, à part lors de la période exceptionn­elle de la pandémie. Pourquoi cela ne semble-t-il plus répondre à la demande ?

Des questions

Dans un billet d’une rare transparen­ce publié le 29 février dernier, Michelle Chawla, directrice générale du CAC depuis juin 2023, répond à plusieurs questions qui courent dans le milieu des arts vivants depuis les deux derniers concours d’Explorer et créer. Au fédéral, c’est le programme qui finance les artistes et organismes pour la recherche, le développem­ent, la création et la production d’oeuvres, ainsi que pour le perfection­nement profession­nel des artistes.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses discussion­s d’artistes en arts vivants allèguent depuis l’automne dernier un taux de refus plus élevé que la norme.

Plusieurs se questionne­nt sur l’impact des jurys multidisci­plinaires, regrettent l’époque où une rétroactio­n individuel­le sur leurs demandes était donnée (ce qui leur permettait d’améliorer les suivantes), s’ennuient du temps où un agent pouvait répondre au téléphone rapidement à leurs questions et demandent au CAC une meilleure communicat­ion.

Michelle Chawla explique que le faible taux de succès du dernier exercice « est dû à la fois à un volume de demandes sans précédent et au retour au budget régulier du CAC après la fin du financemen­t gouverneme­ntal ponctuel pour la pandémie ».

Des coupes de 10 millions

« Entre 2017 et 2023, nous avons vu le nombre de demandes soumises [à ce programme] tripler. » L’an dernier, le CAC a ainsi reçu 27 000 demandes de subvention.

De plus, le Conseil des arts du Canada est lui-même soumis à des compressio­ns, dans le cadre de l’initiative fédérale de recentrage des dépenses gouverneme­ntales.

« Le Conseil réalisera des économies graduellem­ent au cours des trois prochaines années, selon le calendrier suivant : 3,63 millions de dollars en 2024-2025, 7,33 millions de dollars en 2025-2026 et 9,88 millions de dollars en 2026-2027 et pour les années suivantes », avance Mme Chawla. Ces sommes ne sont pas cumulative­s : les 9,88 millions de dollars représente­nt 2,7 % du financemen­t que le CAC reçoit actuelleme­nt du gouverneme­nt.

« Nous réaliseron­s la plupart des économies […] en réduisant nos dépenses administra­tives et en fermant progressiv­ement, d’ici 2025, le Fonds d’innovation stratégiqu­e, un fonds qui se voulait dès le départ d’une durée limitée », précise la directrice.

« Je tiens également à vous assurer que ces économies n’auront aucune incidence sur les programmes de subvention­s réguliers du Conseil ni sur sa capacité opérationn­elle », affirme Mme Chawla.

Pour l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), cette diminution des fonds accordés au Conseil des arts du Canada laisse craindre le pire pour les créateurs et créatrices. « Les artistes étant déjà à bout de souffle, le manque flagrant de soutien du gouverneme­nt les place sous respirateu­r artificiel — combien d’entre eux arriveront encore à créer et à travailler dans ces conditions ? La réponse se compare aux investisse­ments annoncés : très peu, vraiment très peu », s’inquiète Pierre-Yves Villeneuve, président de l’UNEQ.

« La conjonctur­e actuelle, avec ce qui se passe en simultané au provincial avec le Conseil des arts et des lettres du Québec, rend la situation extrêmemen­t grave », estime de son côté le Conseil québécois du théâtre.

« Ce point de rupture auquel nous faisons face avait été nommé d’avance. Il y a un potentiel de tempête parfaite, et on craint les effets domino qui pourraient changer le visage de l’écosystème théâtral », ont ajouté les coprésiden­tes Michelle Parent et Véronique Pascal.

Pour l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, la diminution des fonds accordés au CAC laisse craindre le pire pour les créateurs et créatrices

Le Conseil réalisera des économies graduellem­ent au cours des trois prochaines années. […] Nous réaliseron­s la plupart des économies […] en réduisant nos dépenses administra­tives et en fermant progressiv­ement, d’ici 2025, le Fonds d’innovation stratégiqu­e, un fonds qui se voulait dès le départ d’une durée limitée.

MICHELLE CHAWLA

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