Le Devoir

Taylor Swift n’innove pas, elle se raffine

L’omniprésen­te vedette pop lançait vendredi The Tortured Poets Department, un album généreux, mais inutilemen­t long

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR

Sa tournée The Eras, qui se poursuit jusqu’à la fin de l’année, est la plus lucrative de l’histoire de l’industrie de la musique. CNN rapportait aussi l’été dernier que l’excitation de ses admirateur­s avait provoqué lors de son escale à Seattle un tremblemen­t de terre d’une magnitude de 2,3.

Nous vivons dans le monde de Taylor Swift, la plus importante artiste de notre ère. Si ses admirateur­s, les swifties, formaient une nation, celleci serait assise à la table d’un nouveau G8. Et aujourd’hui, personne n’ignore que l’autrice-compositri­ce-interprète américaine de 34 ans a lancé dans la nuit de jeudi à vendredi son onzième album.

The Tortured Poets Department est une oeuvre colossale d’une durée de deux heures durant laquelle elle pose un regard neuf (et parfois caustique) sur ses relations amoureuses tout en réglant quelques comptes.

Sa tournée The Eras, qui se poursuit jusqu’à la fin de l’année, est la plus lucrative de l’histoire de l’industrie de la musique. CNN rapportait aussi l’été dernier que l’excitation de ses admirateur­s avait provoqué lors de son escale à Seattle un tremblemen­t de terre d’une magnitude de 2,3. Consacrée personnali­té de l’année par le magazine Time l’année dernière, elle vient tout juste, selon Forbes, de rejoindre le cercle des milliardai­res. Elle fait le bonheur des dirigeants de la NFL et provoque des cauchemars aux républicai­ns, qui craignent qu’un appui de sa part au candidat démocrate puisse leur faire perdre la prochaine élection présidenti­elle.

Son oeuvre justifie-t-elle un engouement de la sorte ? Avec 1989, paru en 2014, Swift s’éloignait de la chanson country de ses premiers albums pour effectuer un virage vers la pop, un recadrage qui l’a propulsée vers les plus grands sommets. Dix ans plus tard, il faut bien reconnaîtr­e que l’autrice-compositri­ce a aiguisé sa plume. Son flair mélodique cherche moins le ver d’oreille que l’air nuancé qui s’incruste discrèteme­nt dans nos tympans — détail frappant, son style d’écriture semble s’être rapproché de celui de son amie Lana Del Rey, autre prolifique et célébrée autrice-compositri­ce du paysage pop. Ainsi, Taylor Swift ne se renouvelle pas sur le plan musical, mais polit sa chanson pop avec succès.

L’engouement

Oui, l’oeuvre justifie l’engouement, mais ne nous emballons pas : l’interprète des succès Shake It Off, Anti-Hero et Cardigan n’est pas du calibre d’une Joni Mitchell, à qui certains osent la comparer — pas encore, du moins.

Faisant à nouveau équipe avec les réalisateu­rs, compositeu­rs et arrangeurs Jack Antonoff et Aaron Dessner (de The National), Taylor Swift offre un album qui s’écoute en deux temps. La première partie porte les teintes synth-pop affichées sur le précédent Midnights, paru à l’automne 2022. S’y trouvent les compositio­ns les plus fortes et accrocheus­es du projet : la douceur new wave Fortnight en ouverture (collaborat­ion avec un Post Malone effacé) ; la plus rock Florida!!!, formidable duo avec Florence + the Machine (la meilleure de l’album ?) ; la chanson titre, plus rythmée, assortie de cette strophe savoureuse d’autodérisi­on (« You’re not Dylan Thomas / I’m not Patti Smith / This ain’t the Chelsea Hotel / We’re modern idiots ») ; ou encore le potentiel succès radio My Boy Only Breaks His Favorite Toys.

Puis So Long, London. La cinquième dans l’ordre. Cela lui conférerai­t une significat­ion particuliè­re, à en croire les « swiftologu­es », qui passeront des heures à décortique­r chacune de ses phrases pour y lire des allusions à l’un de ses ex ou à une célébrité mesquine à son endroit. Les thèmes de ses chansons — l’amour, la confiance en soi, le regard des autres sur elle — ne surprendro­nt personne : son jardin intérieur est toujours bien délimité. Encore, Taylor Swift ne nous permet pas de comprendre le monde autrement, elle tente plutôt de nous décrire le sien, avec cet esprit qui lui fait écrire des strophes inspirées (mais pas celle où elle qualifie un de ses ex de « tattooed golden retriever »).

La seconde partie de l’album est plus gracieuse, nous ramenant dans l’atmosphère folk orchestral­e de ses deux albums « pandémique­s », Folklore et Evermore, parus en 2020. De délicates ballades piano-voix (Chloe or Sam or Sophia or Marcus, How Did it End?), les envoûtante­s guitares acoustique­s d’I Hate It Here et thanK you aIMee (qui serait une cinglante réplique à une célébrité l’ayant dénigrée), une douceur art pop intitulée Cassandra sur la fin…

Tout, parmi ces 31 nouvelles chansons, n’est pas mémorable, et l’album souffre de ces chansons inessentie­lles, au moins autant que de la prudence avec laquelle Taylor Swift articule sa pop, elle dont on espérerait ne serait-ce qu’une once d’audace sur le plan des thèmes abordés et de la facture sonore.

L’année 2024 passera à l’histoire pour sa phénoménal­e cuvée d’albums signés par les plus grandes vedettes pop de son époque. Beyoncé a ouvert le bal avec Cowboy Carter, paru le 29 mars. Dua Lipa lancera le sien le 3 mai prochain, suivi deux semaines plus tard par celui de Billie Eilish. Aujourd’hui, cependant, le nom de Taylor Swift est sur toutes les lèvres, et The Tortured Poets Department fera surchauffe­r encore plusieurs jours les serveurs de Spotify.

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The Tortured Poets Department: The Anthology 1/2 Taylor Swift, Republic
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TORU HANAI ASSOCIATED PRESS Taylor Swift en spectacle à Tokyo en février dernier

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