Quand biodiversité rime avec stabilité
Depuis plus de 50 ans, les écologues se questionnent sur les causes derrière la stabilité des écosystèmes. Estelle le fruit de l’interaction entre une grande variété d’espèces, comme l’indiquent les théories les plus anciennes ? Ou bien, peut-elle être à l’origine de bouleversements et d’extinctions d’espèces ? Ian Hatton, chercheur associé au Département des sciences de la terre et des planètes de l’Université McGill, apporte des éléments de réponse dans une récente étude.
À la stupeur des scientifiques, le sébaste de l’Atlantique — ce poisson rouge vif — domine désormais les fonds du fleuve Saint-Laurent, alors qu’il était surpêché et classé comme espèce en voie de disparition en 2010. Elle aussi victime de surpêche, la morue n’a pourtant pas réussi à reprendre du poil de la bête et sa population diminue constamment, malgré les interdictions de pêche. Pourquoi l’un est-il plus favorisé que l’autre ? Comment expliquer que, dans d’autres écosystèmes, ce phénomène ne se reproduise pas ? Les réponses des écologues divergent.
Plusieurs études ont montré que la biodiversité — la variété des formes de vies sur la Terre — détermine le fonctionnement des écosystèmes, ces zones dans lesquelles les plantes, les animaux et les autres organismes interagissent entre eux et avec leur environnement pour survivre et se reproduire. Toutefois, le mystère subsiste quant aux mécanismes de leur stabilité à long terme. Un écosystème « stable » se traduit par une relative constance de l’abondance et la capacité des espèces à se remettre des perturbations.
Les théories modernes suggèrent qu’une plus grande diversité d’espèces peut déstabiliser un écosystème. Dans une étude publiée de l’Université McGill et de l’Institut Max Planck publiée dans la revue Science, Ian Hatton et son équipe donnent plutôt raison aux premiers écologues, qui estimaient que la biodiversité favorise bel et bien la stabilité. « Nous avons observé que la croissance des populations n’est pas exponentielle, contrairement à la croyance commune, mais qu’elle ralentit à mesure que la densité des populations augmente, explique le chercheur. Cela veut dire que plus il y a d’espèces, plus celles-ci arrivent à coexister au sein d’un même espace. »
Un modèle de prédiction plus fiable
Pour arriver à cette conclusion, Ian Hatton et ses collègues ont utilisé une approche mathématique différente, répondant au doux nom de « modèle de croissance sublinéaire ». Ce modèle est plus communément utilisé en biologie, pour décrire la croissance de cellules, par exemple. « En testant le modèle, on a découvert qu’il pouvait faire des prédictions solides et valides », souligne-t-il. L’équipe s’est basée, entre autres, sur des données relatives à l’abondance et à la croissance d’une variété d’insectes, de poissons et de mammifères, collectées dans les 60 dernières années.
« Les modèles écologiques précédents ne faisaient pas de très bonnes prédictions, poursuit Ian Hatton. Ce n’est donc pas surprenant qu’on ait eu historiquement du mal à prévoir ce qui pourrait se passer à un endroit donné quand une espèce disparaît, comme avec la morue du Saint-Laurent. » Ces modèles se basent sur le principe d’exclusion compétitive, qui stipule que deux espèces ne peuvent coexister si elles occupent exactement la même niche, puisqu’elles luttent pour les mêmes ressources.
Or, les dynamiques qui lient les espèces entre elles sont beaucoup plus complexes, selon le chercheur. Les résultats de son étude mènent à une meilleure compréhension des bouleversements qui surviennent dans un écosystème ainsi que de leur incidence sur les êtres vivants qui l’habitent. À terme, cela pourrait favoriser la prédiction du temps nécessaire à une espèce en déclin pour croître de nouveau, par exemple, ou bien les possibles conséquences de ce déclin sur une autre population.
Perte de biodiversité
Si la biodiversité est un facteur de stabilité, sa perte peut alors contribuer à bouleverser un écosystème et même l’empêcher de se rétablir. L’étude met ainsi en garde contre les effets dévastateurs de la disparition de nombreuses forêts, de nombreux milieux humides et êtres vivants. Aujourd’hui, environ un million d’espèces animales et végétales sont menacées, d’après la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Près de 70 % des populations d’animaux sauvages ont disparu en une cinquantaine d’années, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF).
Le principal facteur de perte de biodiversité est la façon dont l’humanité utilise les sols et la mer, en grugeant les forêts, les zones humides et d’autres habitats naturels pour les transformer en terres agricoles et urbaines. La surexploitation des plantes et des animaux, les changements climatiques, la pollution et les espèces exotiques envahissantes sont les quatre autres principales causes de la destruction du vivant, selon l’IPBES.
« Nous avons observé que la croissance des populations n’est pas exponentielle, contrairement à la croyance commune, mais qu’elle ralentit à mesure que la densité des populations augmente »