Le Devoir

Salve groupée jusque dans le pied

- MARIE VASTEL

Le changement de ton de Paul St-Pierre Plamondon était aussi soudain qu’abrupt. La main tendue et l’optimisme à tout vent par lesquels avait prêché jusqu’ici le chef péquiste ont d’un seul coup été remplacés, devant son conseil national puis au Parlement, par un alarmisme à la fois excessif et contre-productif. Un amalgame historique autorégres­sif et un retranchem­ent identitair­e tous deux chargés de mots lourds de sens que le chef, d’ordinaire posé, ne peut prétendre avoir improvisés.

Soucieux de dédramatis­er bien avant la prochaine campagne électorale la tenue d’un nouveau référendum, afin d’y débattre le moment venu du projet de pays plutôt que de la mécanique de l’échéancier de souveraine­té, Paul St-Pierre Plamondon adopte un discours résolument assumé. La stratégie de la pédagogie en vue de ce troisième grand vote d’ores et déjà annoncé pourrait porter fruit. Le catastroph­isme visant à nous persuader de sa nécessité, un peu moins.

Le chef du Parti québécois y est allé d’une offensive tous azimuts, dimanche dernier, en brandissan­t l’« effacement » du peuple québécois, son « déclin », voire sa « disparitio­n », faute que nous devenions « majoritair­es chez nous ». Accusant le gouverneme­nt canadien de mener une « charge contre le Québec », Paul St-Pierre Plamondon a reproché à Justin Trudeau son ingérence systématiq­ue dans les champs de compétence du gouverneme­nt québécois. Mais aussi d’en abuser, en refusant d’accorder les pleins pouvoirs en immigratio­n à l’État québécois, afin de « déstabilis­er le Québec ».

Le premier grief n’est pas injustifié. Justin Trudeau surpasse en effet ses prédécesse­urs des 30 dernières années — conservate­urs comme libéraux — au chapitre de l’interventi­onnisme. Il semble même trahir sa propre opinion lorsqu’il prétexte que les électeurs se foutent du respect de la Constituti­on.

Les récriminat­ions contempora­ines à l’endroit d’Ottawa ne manquent pas. Évoquer cette semaine les déportatio­ns et les exécutions de francophon­es (factuelles, mais datant de plusieurs siècles) aux fins de ralliement contre le gouverneme­nt fédéral versait dans l’excès d’hyperboles et minait ainsi le plaidoyer. Répéter sur toutes les tribunes cette enflure, dans l’espoir de la légitimer, ne l’a pas rendue moins malhabile.

Et scander la menace d’une « action concertée » cherchant à « nous effacer » est en outre venu franchir un pas qui n’a précédemme­nt servi ni le Québec ni le Parti québécois.

Le poids démographi­que de la nation québécoise au sein du Canada est certes en décroissan­ce. Le redécoupag­e de la carte électorale fédérale créera cinq nouvelles circonscri­ptions, mais aucune au Québec — dont le poids aux Communes régressera ainsi légèrement, de 23,1 % à 22,7 %, poursuivan­t la baisse constante qu’il connaît depuis qu’il se chiffrait à 28 % il y a 50 ans.

Le commissair­e à la langue française, Benoît Dubreuil, observe également un bond d’environ 50 % en 15 ans de la part de la population québécoise qui ne maîtrise pas la langue de Vigneault. Force est de reconnaîtr­e cependant que l’insuffisan­ce des ressources en matière de francisati­on, un droit inscrit à la Charte de la langue française, a maintes fois été documentée.

Or, en ressuscita­nt maladroite­ment ce « nous » — et en évitant soigneusem­ent de le définir —, Paul St-Pierre Plamondon risque de rebuter ceux qu’il tente justement de convaincre de se joindre au mouvement. Car bien que le Parti québécois caracole confortabl­ement en tête des sondages, l’appui à l’indépendan­ce n’a pas profité de la même courbe de croissance, oscillant toujours autour de 36 % à 40 %.

L’appétit est moindre chez les jeunes et demeure fortement minoritair­e chez les sympathisa­nts de Québec solidaire. L’appui, selon Léger, est à 33 % chez ces deux cohortes. Celles-là mêmes qui sont les moins réticentes à l’immigratio­n, que se remet à démoniser, d’un champ lexical chargé, Paul St-Pierre Plamondon. Et dont il aura pourtant besoin, reconnaît-il luimême, pour former une grande coalition du Oui.

La réplique de Gabriel Nadeau-Dubois — qui a gazouillé que « pour créer un pays, l’espoir, c’est plus fécond que le ressentime­nt » — traduisait probableme­nt bien leur réaction. De même que le réel péril qui guette ce changement d’approche. M. St-Pierre Plamondon a bien fait de terminer la semaine en renouant avec son côté givré en se versant un bol (à soupe) de lait.

Ce repli identitair­e n’est pas unique au Parti québécois, et il ne date pas d’hier non plus. Le premier ministre François Legault a abondammen­t contribué à le défricher en brandissan­t, y allant de sa propre démesure, une « louisianis­ation » précarisan­t la « survie » de la nation. Le lexique a été révisé, mais ses ministres agitaient encore cet hiver la « menace » à l’identité québécoise. Le référendum caquiste sera pour sa part sectoriel — s’il vient à se concrétise­r.

Cette rivalité d’apocalypti­sme, à laquelle devraient cesser de se livrer la Coalition avenir Québec et le Parti québécois, ne viendra qu’enfoncer le Québec dans un débat dont ni la nation ni le projet d’indépendan­ce ne sortiront gagnants.

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