COMPLÈTEMENT DÉBRANCHÉ – LE SOCIOFINANCEMENT, QU’OSSA DONNE ?
Épuisée, la manne du sociofinancement ? La nouvelle n’a pas fait grand bruit le mois dernier, mais quand on a appris comment et pourquoi l’iconique plateforme de financement participatif Kickstarter avait en quelque sorte « triché » deux ans plus tôt, la question n’a pas pu faire autrement que de surgir à nouveau.
Cette tricherie est incarnée par une somme de 100 millions $US, promise à la fin de 2021 par une prestigieuse firme de capital-risque de la Silicon Valley aux dirigeants de Kickstarter. En échange, ceux-ci devaient adopter un nouveau modèle d’affaires basé sur la chaîne de blocs, la fameuse technologie qui donne vie aux cryptomonnaies comme le bitcoin.
2021, c’est aussi l’année où les fameux NFT ont atteint leur pic de popularité. Les NFT sont des biens immatériels, comme un fichier image JPEG, dont la propriété devait être protégée par un jeton issu d’une chaîne de blocs. Cette propriété est ce qui donnait de la valeur aux NFT. Comme pour une carte sportive à collectionner, ou l’oeuvre d’un artiste renommé, l’attrait des collectionneurs pour ces objets virtuels est ce qui en faisait monter la popularité… en théorie. Car après un engouement initial, les NFT se sont écroulés avec le marché des cryptomonnaies, en 2022.
En pleine euphorie des NFT, donc, un investisseur convaincu de leur valeur a suggéré à Kickstarter d’adopter ce modèle pour ses propres projets en quête de financement participatif. Plutôt que de miser de l’argent sonnant, ses utilisateurs miseraient de la cryptomonnaie sur leurs projets préférés, ce qui ferait hausser leur valeur. Ces mêmes utilisateurs pourraient lancer leurs propres projets, ou carrément leurs propres petits mini-Kickstarters, autour d’intérêts précis : les animes japonais, la musique électronique, etc.
La pointe de l’iceberg
Or, ce virage vers la chaîne de blocs a déplu aux utilisateurs, et Kickstarter a pris un an à essayer de se justifier, avant d’abandonner le projet à l’automne 2022. Mais le mal était fait : la réputation de Kickstarter était entachée.
Il faut dire qu’en 2022, on a aussi vu émerger une centaine d’accusations de fausses déclarations et d’escroquerie contre Kickstarter, portées par des utilisateurs qui avaient « acheté » des projets qui n’ont jamais vu le jour. Pour Kickstarter, c’est la beauté de son modèle initial : elle n’a pas à soutenir les projets présentés sur sa plateforme. Les acheteurs paient pour un produit ou un service dont la mise en marché est promise pour plus tard. Or, rares sont les projets qui sont livrés à leurs acheteurs à la date promise.
Selon la publication américaine Fortune, qui a publié à la mi-mars une enquête dévastatrice à ce propos, 18 % du chiffre d’affaires de Kickstarter proviendrait de projets qualifiés de frauduleux, ou qui n’ont jamais vu le jour, malgré des sommes importantes amassées auprès d’internautes un peu crédules, voire carrément naïfs.
Fondée en 2009, Kickstarter se targue d’avoir amassé tout près de 8 milliards $US pour aider des projets en tout genre à voir le jour — cela va des jeux de société aux créations artistiques et aux gadgets les plus exotiques. Si le cinquième de cette somme est allé à des échecs commerciaux, cela veut dire plus d’un milliard et demi de dollars perdus par des internautes à qui on aura vendu du rêve…
Le grand éclatement
Depuis un mois, c’est la déroute pour Kickstarter. On assisterait, selon les experts, à un déplacement massif de ses projets vers les plateformes rivales. Aux États-Unis, les plus connues sont BackerKit, GoFundMe et Indiegogo. Dans la Francophonie, le site français Ulule est toujours populaire. En 2023, celui-ci dit avoir généré 29 millions d’euros (42 millions $CA) pour des projets en grande partie liés aux arts et au divertissement.
Ulule essaie de se positionner comme une plateforme « d’impact » : la majorité de ses projets comportent un bénéfice social ou environnemental, juret-elle. Ça ne la met pas à l’abri de la controverse. Des artistes appellent à son boycottage depuis que l’artiste français Bertrand Cantat, condamné en 2003 pour avoir tué Marie Trintignant, a déposé un projet d’album sur Ulule, au début de février. Cantat et son groupe de musiciens ont récolté à ce jour plus de 215 000 euros (316 000 $). Ils espéraient récolter 60 000 €.
Au Québec, la plateforme La Ruche continue sa propre expansion. Son modèle se distingue notamment par son approche régionale : ses dirigeants s’impliquent activement auprès des entrepreneurs — les jeunes, surtout — dans chacune des régions où la plateforme est présente. Elle a le soutien du gouvernement québécois et de Desjardins, qui financent ses activités.
Cette proximité, c’est important. Parmi les conseils que donnent les spécialistes à ceux qui seraient tentés par le financement participatif malgré le risque qu’il comporte, le fait de connaître les gens derrière les projets financés ou d’y avoir accès arrive en tête de liste.
Sinon, la déception risque d’être grande. Car si ça a l’air trop beau pour être vrai…
Au Québec, la plateforme La Ruche continue sa propre expansion. Son modèle se distingue notamment par son approche régionale.