Muzion expliqué aux enfants
L’histoire du groupe de rap québécois est racontée dans un ouvrage destiné aux petits de quatre à huit ans
L’histoire d’un groupe rap racontée aux enfants de quatre à hui ans dans un livre. Le concept, en soi, est étonnant ! L’exercice demande doigté et sensibilité, mais la recette développée par les éditions de la Bagnole est maintenant éprouvée. Muzion est la troisième parution de leur série pour enfants « mini-punk ». L’oeuvre de Niti Marcelle Mueth, illustratrice, et d’Olivier Boisvert-Magnen, auteur, est remplie de couleurs, de vie, de passion et de possibles, mais elle révèle aussi, de manière à la fois enfantine et réaliste, un parcours semé d’embûches qui a mené le trio rap Muzion de la cour d’école jusqu’aux plus grandes scènes.
Les deux premières oeuvres de la série « mini-punk », à propos du groupe métal Voïvod et du poète Claude Gauvreau, parues simultanément en avril 2023, ont permis à la maison d’édition d’établir une
orientation claire visant à familiariser les tout-petits à l’histoire de la contreculture. Leur slogan dit tout : « Des biographies qui ont du mordant » !
Pour ce troisième volume, les éditions
de La Bagnole ont rassemblé les forces de deux artisans passionnés. Olivier Boisvert-Magnen est auteur de Jean Leloup. Des grands instants de lucidité (2022). Il est également connu pour avoir publié une riche série d’articles sur l’histoire de la musique d’ici pour le journal Voir il y a déjà quelques années. Il est devenu père en synchronicité avec la sortie du livre, et c’est une première incursion dans le monde de la littérature jeunesse pour lui.
Les crayons de couleur, c’est l’artiste visuelle Niti Marcelle Mueth qui les a tenus pour donner vie au récit. Ses oeuvres ont été exposées de Montréal jusqu’au Japon, en passant par l’Allemagne. Elle est aussi connue notamment pour son rôle de directrice artistique de la fresque géante La vie des Noir.e.s compte peinte sur la rue SainteCatherine en 2020, au coeur du mouvement Black Lives Matter.
Rencontre au sommet
Été 2023. Ils sont cinq autour d’une table dans une microbrasserie de l’avenue du Mont-Royal. Les trois membres de Muzion, soit Jenny Salgado (J.Kyll), son frère Stanley Salgado (Imposs) ainsi que Jocelyn Bruno (Dramatik), sont attablés avec Niti et Olivier. Ce dernier leur présente son plan de rédaction. Les idées se mettent à voler, mais les questions aussi.
Comment raconter l’histoire d’un groupe de rap et de certaines réalités sociales complexes qui entourent son ascension vers la popularité… à des enfants de 4 à 8 ans ? Mine de rien, le défi est de taille.
La solution ? Revenir à la base. Dessin, danse, musique, parole : quatre facultés inculquées ou développées intuitivement dès l’enfance. Ce sont aussi les quatre éléments de base de la culture hip-hop : graffiti, breaking, DJing et MCing. Il y a de quoi intéresser les enfants, mais aussi les parents.
De concert avec ses quatre acolytes rassemblés autour de la table, BoisvertMagnen se lance dans l’énumération de sous-thèmes porteurs. « Je trouvais qu’il y avait plein de trucs évocateurs, notamment dans l’histoire frère-soeur de Jenny et de Stanley, qui est très forte, qui peut parler aux enfants avec une idée d’entraide, d’avoir un projet commun, en famille. Il y a aussi le bégaiement de Jocelyn qui peut être quelque chose qui touche les jeunes, notamment avec l’idée de surmonter ce bégaiement par la musique, l’expression orale », se souvient-il. Jocelyn Bruno doit effectivement composer depuis l’enfance avec un trouble de la parole qui disparaît complètement lorsqu’il rappe ou même lorsqu’il interprète un rôle pour la télévision ou le cinéma.
« Mais, continue Olivier, il y a aussi toute la découverte musicale. Quand on est enfant, il y a la musique de nos parents. Mais peu à peu, on va découvrir nos propres goûts musicaux. Et [la manière dont les membres de Muzion ont découvert] la culture hip-hop, je la trouvais très forte. Je trouvais que c’était un thème qui me permettait de parler de rap d’une manière plus universelle. » En effet, Jenny et Stanley Salgado ont été initiés aux différentes facettes de la culture hip-hop en voyageant à New York, chez la famille, au début de l’adolescence. À partir de cette découverte musicale, ils se sont forgé une identité unique, adaptée à leur réalité québécoise.
Passeur d’histoire
Cette histoire a résonné chez BoisvertMagnen, qui s’est mis à réfléchir à son propre bagage musical. Né dans le quartier montréalais d’Ahuntsic dans une famille blanche et francophone, le trentenaire a été nourri à l’histoire musicale québécoise des années 1970. « Avec ce livre-là, c’est comme si je voulais qu’il y ait un héritage, qu’il y ait une connaissance de l’héritage du rap québécois chez les jeunes d’ici. Je veux que le savoir se transmette. Je veux qu’on reconnaisse Muzion comme un jalon important de la musique d’ici. Au même titre qu’on a été initié aux Charlebois, Beau Dommage et Harmonium », explique-t-il.
Cette réflexion de l’auteur lève le voile sur la question principale sousjacente à l’intégralité du récit, c’est-àdire la représentation de la diversité dans le récit collectif québécois. Jointe par courriel en Colombie où elle se trouve présentement en résidence artistique, Niti Marcelle Mueth souhaite que ce livre trouve un écho positif chez les enfants, notamment en les sensibilisant « à la diversité culturelle et artistique de leur environnement. […] Le livre pourrait inspirer les enfants et les jeunes à poursuivre leurs propres rêves artistiques et à explorer leur créativité, peu importe leur origine ou leur milieu, en plus de servir de point de départ pour des discussions intergénérationnelles entre les enfants et les adultes, en partageant des souvenirs et des expériences liés à la musique et à la culture hip-hop », écrit-elle.
Pour Jenny Salgado, ce besoin d’expression artistique, cette affirmation d’existence est inhérente à la culture qui lui est chère. « C’est la définition même de ce qu’est le mouvement hip-hop. C’est plus qu’un style musical. C’est carrément un mouvement social, et c’est ça, la force de ce mouvement : ça inclut tout le monde, c’est très inclusif. La culture hip-hop elle-même s’exprime dans toutes les formes possibles, c’est un véhicule d’expression. Il faut expliquer aux enfants que c’est ça, la base du hip-hop : c’est la culture de la débrouillardise, c’est la culture de la prise de parole existentielle. C’est la nécessité de dire : “Moi aussi, je suis là et moi aussi, je veux faire partie du tout”. »
Et puisqu’il est question de revenir à la base, Jenny pense aussi aux moments précieux qui prendront vie autour de cet ouvrage. « En recevant l’oeuvre, c’est le symbole du livre qui m’a frappée en premier. J’essayais de me mettre dans la peau d’un enfant qui le recevait : l’image, les couleurs, l’objet. Que les enfants aient accès à l’objet littéraire, déjà, c’est beau. Ça a plus de valeur qu’un lien sur lequel tu cliques sur un écran. C’est beau le partage entre les enfants et leurs parents en train de les border, de leur raconter notre histoire, de les endormir, mais de les éveiller en même temps. »
Avec ce livre-là, c’est comme si je voulais qu’il y ait un héritage, qu’il y ait une connaissance de l’héritage du rap québécois chez les jeunes d’ici.
Je veux que le savoir se transmette. Je veux qu’on reconnaisse Muzion comme un jalon important de la musique d’ici. Au même titre qu’on a été initié aux Charlebois, Beau Dommage et Harmonium.
OLIVIER BOISVERT-MAGNEN »