Passeur de connaissances, au-delà des frontières
Si le nom de Guy Rocher est intrinsèquement lié au Québec, l’aura du sociologue s’est étendue bien au-delà des frontières de la province. Ses écrits et ses enseignements ont traversé l’océan Atlantique et fait basculer la façon d’enseigner la sociologie dans les pays francophones d’Europe, soit la France, la Belgique et la Suisse.
En publiant son Introduction à la sociologie générale, en 1968-1969, Guy Rocher provoque une petite révolution. Jusqu’alors, les manuels de sociologie (une discipline universitaire assez nouvelle) étaient quasi inexistants en français. Son oeuvre sera donc rapidement éditée en France, ce qui lui ouvrira le marché international francophone.
« L’ouvrage de Rocher est venu combler un vide », se rappelle Monique Hirschhorn, professeure émérite de sociologie à l’Université Paris Cité. Elle se souvient d’avoir connu le sociologue québécois par le biais de l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), dont Guy Rocher a été membre dès la fondation, en 1959.
« Ce qui est aussi extrêmement intéressant, c’est que son ouvrage faisait une grande place, et pour cause, à la littérature anglo-saxonne et allemande, souligne-t-elle. C’était une présentation francophone de la sociologie, mais c’était loin de se limiter à la sociologie en langue française. »
En 1972, Guy Rocher poursuit sa mission de faire découvrir la sociologie des États-Unis aux francophones en publiant Talcott Parsons et la sociologie américaine. À cette époque, en France, la sociologie nord-américaine n’existait pratiquement pas, explique Christian Lalive D’Épinay, professeur honoraire à l’Université de Genève.
« Et Guy Rocher a fait éclater tout ça, avec une sociologie oecuménique, d’une certaine façon, précise celui qui a été président de l’AISLF de 1985 à 1988. Il a mis en perspective la sociologie des États-Unis et du Canada avec la sociologie européenne, et parfois même en allant au-delà : c’était le premier traité en langue française qui adoptait cette perspective. En ce sens, il a été un passeur de connaissances. »
Le fondateur et ancien directeur du Centre interfacultaire de gérontologie et d’études des vulnérabilités de l’Université de Genève, qui a aujourd’hui 85 ans, se souvient d’ailleurs que son ami Jean Kellerhals avait quitté la Suisse pour aller suivre les cours de Guy Rocher à l’Université de Montréal.
Construire des ponts
Le sociologue belge Marcel Bolle de Bal, qui a lui aussi été président de l’AISLF, rappelle que la mission principale de l’association était de défendre la culture francophone en sociologie « par rapport à l’anglais envahissant ». Guy Rocher est donc celui qui a construit des ponts entre les sociologies francophones et anglosaxonnes, souligne M. Bolle de Bal, aujourd’hui âgé de 93 ans.
Pour Monique Hirschhorn, la spécificité de son confrère québécois est d’organiser savamment les pensées des auteurs qu’il cite, sans les énumérer, ce qui confère à ses ouvrages une valeur pédagogique ajoutée. « Il ne présente pas les auteurs les uns après les autres, explique la sociologue française de 84 ans. D’ailleurs, la construction de son manuel en trois tomes (L’action sociale, Regards sur la réalité sociale et Le changement social) est très significative. Il s’attarde à un problème, et à partir de là, il regarde ce que les différents auteurs ont dit et comment leurs pensées se complètent ou se contredisent. Sa volonté n’est pas d’être exhaustif, mais de construire quelque chose qui aide l’étudiant ou même le collègue à penser un problème. »
« Son influence internationale vient du fait qu’en matière de sociologie, il a été un excellent pédagogue, mais aussi quelqu’un qui a su se servir des auteurs pour proposer quelque chose qui n’était pas radicalement original, mais organisé : on pouvait s’y retrouver », ajoute-t-elle.
Militant, mais pas partisan
Tous les sociologues européens interrogés pour cet article ont pris soin de souligner, en plus de son apport incontestable à la sociologie, les qualités humaines de Guy Rocher.
« J’ai beaucoup d’admiration pour lui, confie Christian Lalive d’Épinay. Ce qui est étonnant avec Guy Rocher, c’est que dans les associations et un peu partout dans les institutions, il y a toujours des rumeurs, des bruits, des racontars… Mais je n’ai jamais entendu de méchancetés ou de rumeurs négatives à son égard. » Il ajoute que Guy Rocher est un homme d’une droiture exemplaire, doté d’un grand sens de l’écoute. « Il écoute l’autre, toujours de manière respectueuse. Ça paraît un pléonasme, mais il respecte l’autre comme alter. Dans sa différence. »
Pour son ami Marcel Bolle de Bal, Guy Rocher est un homme « remarquable », qui inspire le respect. « C’est un excellent sociologue et un citoyen engagé à la fois, ajoutet-il. Il a réussi à garder un bel équilibre entre la sociologie et la politique. »
Christian Lalive D’Épinay le décrit d’ailleurs comme un sociologue engagé, qui n’est pas « enfermé dans la sociologie ».
« Il a toujours été un militant, mais je ne l’ai jamais senti partisan », nuance le sociologue suisse, qui a de bons souvenirs, remplis de conversations enrichissantes à la résidence de Guy Rocher, dans les Laurentides.
« Les membres ont toujours gardé des relations très étroites avec lui, abonde Monique Hirschhorn. Des liens scientifiques, mais aussi personnels. »
« Il écoute l’autre, toujours de manière respectueuse. Ça paraît un pléonasme, mais il respecte l’autre comme alter. Dans sa différence. »