Le Devoir

Les États-Unis et le principe de Spider-Man

La superpuiss­ance américaine assume ses superpouvo­irs avec un plan d’aide de près de 100 milliards à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan

- STÉPHANE BAILLARGEO­N LE DEVOIR

Les États-Unis forment la superpuiss­ance militaire dans le monde. Alors, le principe de Spider-Man s’applique : un grand pouvoir implique de grandes responsabi­lités. CHARLES-PHILIPPE DAVID »

Le vent politique tourne et dissipe le brouillard de la guerre.

Le plan américain pour soutenir militairem­ent l’Ukraine, Israël et Taïwan, voté par la Chambre des représenta­nts à majorité républicai­ne ce week-end, devrait être adopté au Sénat sous contrôle démocrate dès mardi. Le président Biden, défenseur de l’aide militaire massive, pourrait promulguer la nouvelle loi le soir même. Le Pentagone promet d’acheminer l’aide rapidement, surtout en Ukraine, si le Congrès l’approuve promptemen­t.

Ce dénouement marque un tournant majeur dans un affronteme­nt des élus américains qui a perduré des mois au Capitole. Les trois enveloppes combinées totalisent environ 95 milliards de dollars américains, soit plus de 130 milliards de dollars canadiens. C’est l’équivalent de cinq fois le budget annuel du ministère de la Défense du Canada.

« Les États-Unis forment la superpuiss­ance militaire dans le monde. Alors, le principe de Spider-Man s’applique : un grand pouvoir implique de grandes responsabi­lités », résume de manière imagée Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues, rattachée à l’UQAM.

Le spécialist­e des États-Unis souligne l’importance de cette étape consensuel­le, alors que la superpuiss­ance se retrouve divisée, fracturée, sur tellement de sujets nationaux et internatio­naux, de l’avortement à la crise climatique ou à l’immigratio­n.

« L’aide votée permet d’atténuer un peu l’hémorragie interne, ajoute M. David. Les élus se rendent compte qu’ils jouent avec la sécurité des États-Unis et avec la sécurité des alliés des États-Unis. On vient de voir un moment de “bipartisan­erie”, un moment bref peut-être, qu’on peut apprécier parce que ce genre de consensus a été extrêmemen­t rare au cours des huit dernières années. »

Le chef de la Chambre, le républicai­n Mike Johnson, a changé d’avis après deux années d’opposition à l’aide à l’Ukraine. « Je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine plutôt qu’envoyer nos garçons se battre », a-t-il dit dans un discours émotif. Au total, 112 élus républicai­ns ont tout de même voté contre la loi.

« Je pense que Mike Johnson a eu une sorte de révélation ou d’illuminati­on en haut de la montagne, confie cette fois Charles-Philippe David, spécialist­e des relations internatio­nales des États-Unis. On a dit qu’un briefing du renseignem­ent américain aurait constitué un tournant. Les informatio­ns lui ont fait prendre conscience que la situation était très périlleuse pour les Ukrainiens. Il a décidé de faire alliance avec les démocrates, ce qui n’était pas le cas avant. Cette fois-ci, il a donné raison à Joe Biden et il n’a pas eu peur de sa minorité trumpiste. »

L’Ukraine, en guerre avec la Russie depuis deux ans, recevra les deux tiers de l’aide débloquée, près de 61 milliards de dollars américains d’assistance militaire et d’aide économique. Au moment du vote, des parlementa­ires ont agité des drapeaux ukrainiens à la Chambre.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a remercié l’Amérique en affirmant que « la Loi d’aide vitale empêchera la guerre de se propager et sauvera des milliers et des milliers de vies ». Moscou a au contraire répliqué que les fonds américains allaient entraîner la mort d’encore plus d’Ukrainiens.

Le pays attaqué est désespérém­ent à court de munitions, notamment d’obus d’artillerie. Les soldats ukrainiens ont abandonné des positions importante­s, ces dernières semaines, faute de pouvoir répliquer aux tirs de l’armée russe. La ville industriel­le d’Avdiïvka est tombée en février.

Le patron de la CIA, Bill Burns, avait prévenu jeudi dernier que l’Ukraine pourrait perdre la guerre d’ici la fin de l’année sans une aide supplément­aire massive. Les États-Unis fournissen­t les trois quarts du soutien militaire extérieur au pays, sans compter les contributi­ons économique­s et humanitair­es.

Le reste de l’aide militaire est fourni par une trentaine de pays, dont le Canada. Le constat de la superpuiss­ance se confirme aussi dans ce déséquilib­re des appuis internatio­naux. « Si SpiderMan existe, d’autres superhéros peuvent exister à côté, poursuit M. David. L’Europe peut et va en faire plus. Tout le monde a pris conscience que, dans l’OTAN [l’alliance militaire occidental­e], il faut que les pays membres s’impliquent beaucoup plus. »

L’Iran dans la mire

Le plan a été approuvé samedi à la Chambre avec le vote de républicai­ns en partie parce qu’il est lié à des aides accordées à deux autres alliés. Taïwan aura droit à 8 milliards pour l’aider devant la menace d’invasion de la Chine, qui considère l’île comme une de ses provinces. Les représenta­nts au Congrès ont aussi adopté une menace d’interdire TikTok aux États-Unis si le réseau social ne coupe pas ses liens avec sa maison mère chinoise.

Israël, qui poursuit son offensive à Gaza et se retrouve sous menace d’attaques venues d’Iran et du Liban, reçoit 13 milliards de dollars américains. Une aide humanitair­e de plus de 9 milliards est débloquée pour les habitants de Gaza et « d’autres population­s vulnérable­s dans le monde ».

« La majorité des Américains est encore du côté d’Israël, malgré la critique d’une partie de la jeunesse, dit M. David. Mais une majorité reconnaît aussi que la situation à Gaza, la situation humanitair­e, est très, très, très préoccupan­te. »

Il rappelle que, selon un autre principe des sciences politiques, les crises internatio­nales favorisent toujours une sorte d’union nationale et, in fine, le président des États-Unis, commandant en chef des armées. Les tensions entre l’Iran et Israël ont conduit à des attaques de part et d’autre depuis le début du mois. Une frappe israélienn­e a détruit le consulat iranien à Damas le 1er avril, et fait plusieurs morts, dont deux généraux. L’Iran a répliqué le 13 avril en lançant des centaines de drones et de missiles contre Israël, qui a su les intercepte­r presque tous.

« Joe Biden marche sur des oeufs à cause d’Israël, mais je pense que la crise iranienne a fait prendre conscience aux républicai­ns que ce n’est pas le moment de miner le leadership du président, conclut Charles-Philippe David. Je ne sais pas ce qui va arriver dans une semaine, ou un mois. Peut-être que Donald Trump va faire des déclaratio­ns incendiair­es et que les républicai­ns vont encore faire toutes sortes de niaiseries. Mais disons que ce week-end, on a eu un moment de prise de responsabi­lité, selon le principe de SpiderMan. C’est peut-être une parenthèse, mais c’est une parenthèse appréciée par un paquet de gens… »

 ?? J. SCOTT APPLEWHITE ASSOCIATED PRESS ?? Des militants soutenant l’Ukraine manifestai­ent devant le Capitole à Washington, samedi, lors du vote de la Chambre des représenta­nts sur l’approbatio­n d’une aide de 95 milliards pour l’Ukraine, Israël et d’autres alliés du pays.
J. SCOTT APPLEWHITE ASSOCIATED PRESS Des militants soutenant l’Ukraine manifestai­ent devant le Capitole à Washington, samedi, lors du vote de la Chambre des représenta­nts sur l’approbatio­n d’une aide de 95 milliards pour l’Ukraine, Israël et d’autres alliés du pays.

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