Les États-Unis et le principe de Spider-Man
La superpuissance américaine assume ses superpouvoirs avec un plan d’aide de près de 100 milliards à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan
Les États-Unis forment la superpuissance militaire dans le monde. Alors, le principe de Spider-Man s’applique : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. CHARLES-PHILIPPE DAVID »
Le vent politique tourne et dissipe le brouillard de la guerre.
Le plan américain pour soutenir militairement l’Ukraine, Israël et Taïwan, voté par la Chambre des représentants à majorité républicaine ce week-end, devrait être adopté au Sénat sous contrôle démocrate dès mardi. Le président Biden, défenseur de l’aide militaire massive, pourrait promulguer la nouvelle loi le soir même. Le Pentagone promet d’acheminer l’aide rapidement, surtout en Ukraine, si le Congrès l’approuve promptement.
Ce dénouement marque un tournant majeur dans un affrontement des élus américains qui a perduré des mois au Capitole. Les trois enveloppes combinées totalisent environ 95 milliards de dollars américains, soit plus de 130 milliards de dollars canadiens. C’est l’équivalent de cinq fois le budget annuel du ministère de la Défense du Canada.
« Les États-Unis forment la superpuissance militaire dans le monde. Alors, le principe de Spider-Man s’applique : un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », résume de manière imagée Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, rattachée à l’UQAM.
Le spécialiste des États-Unis souligne l’importance de cette étape consensuelle, alors que la superpuissance se retrouve divisée, fracturée, sur tellement de sujets nationaux et internationaux, de l’avortement à la crise climatique ou à l’immigration.
« L’aide votée permet d’atténuer un peu l’hémorragie interne, ajoute M. David. Les élus se rendent compte qu’ils jouent avec la sécurité des États-Unis et avec la sécurité des alliés des États-Unis. On vient de voir un moment de “bipartisanerie”, un moment bref peut-être, qu’on peut apprécier parce que ce genre de consensus a été extrêmement rare au cours des huit dernières années. »
Le chef de la Chambre, le républicain Mike Johnson, a changé d’avis après deux années d’opposition à l’aide à l’Ukraine. « Je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine plutôt qu’envoyer nos garçons se battre », a-t-il dit dans un discours émotif. Au total, 112 élus républicains ont tout de même voté contre la loi.
« Je pense que Mike Johnson a eu une sorte de révélation ou d’illumination en haut de la montagne, confie cette fois Charles-Philippe David, spécialiste des relations internationales des États-Unis. On a dit qu’un briefing du renseignement américain aurait constitué un tournant. Les informations lui ont fait prendre conscience que la situation était très périlleuse pour les Ukrainiens. Il a décidé de faire alliance avec les démocrates, ce qui n’était pas le cas avant. Cette fois-ci, il a donné raison à Joe Biden et il n’a pas eu peur de sa minorité trumpiste. »
L’Ukraine, en guerre avec la Russie depuis deux ans, recevra les deux tiers de l’aide débloquée, près de 61 milliards de dollars américains d’assistance militaire et d’aide économique. Au moment du vote, des parlementaires ont agité des drapeaux ukrainiens à la Chambre.
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a remercié l’Amérique en affirmant que « la Loi d’aide vitale empêchera la guerre de se propager et sauvera des milliers et des milliers de vies ». Moscou a au contraire répliqué que les fonds américains allaient entraîner la mort d’encore plus d’Ukrainiens.
Le pays attaqué est désespérément à court de munitions, notamment d’obus d’artillerie. Les soldats ukrainiens ont abandonné des positions importantes, ces dernières semaines, faute de pouvoir répliquer aux tirs de l’armée russe. La ville industrielle d’Avdiïvka est tombée en février.
Le patron de la CIA, Bill Burns, avait prévenu jeudi dernier que l’Ukraine pourrait perdre la guerre d’ici la fin de l’année sans une aide supplémentaire massive. Les États-Unis fournissent les trois quarts du soutien militaire extérieur au pays, sans compter les contributions économiques et humanitaires.
Le reste de l’aide militaire est fourni par une trentaine de pays, dont le Canada. Le constat de la superpuissance se confirme aussi dans ce déséquilibre des appuis internationaux. « Si SpiderMan existe, d’autres superhéros peuvent exister à côté, poursuit M. David. L’Europe peut et va en faire plus. Tout le monde a pris conscience que, dans l’OTAN [l’alliance militaire occidentale], il faut que les pays membres s’impliquent beaucoup plus. »
L’Iran dans la mire
Le plan a été approuvé samedi à la Chambre avec le vote de républicains en partie parce qu’il est lié à des aides accordées à deux autres alliés. Taïwan aura droit à 8 milliards pour l’aider devant la menace d’invasion de la Chine, qui considère l’île comme une de ses provinces. Les représentants au Congrès ont aussi adopté une menace d’interdire TikTok aux États-Unis si le réseau social ne coupe pas ses liens avec sa maison mère chinoise.
Israël, qui poursuit son offensive à Gaza et se retrouve sous menace d’attaques venues d’Iran et du Liban, reçoit 13 milliards de dollars américains. Une aide humanitaire de plus de 9 milliards est débloquée pour les habitants de Gaza et « d’autres populations vulnérables dans le monde ».
« La majorité des Américains est encore du côté d’Israël, malgré la critique d’une partie de la jeunesse, dit M. David. Mais une majorité reconnaît aussi que la situation à Gaza, la situation humanitaire, est très, très, très préoccupante. »
Il rappelle que, selon un autre principe des sciences politiques, les crises internationales favorisent toujours une sorte d’union nationale et, in fine, le président des États-Unis, commandant en chef des armées. Les tensions entre l’Iran et Israël ont conduit à des attaques de part et d’autre depuis le début du mois. Une frappe israélienne a détruit le consulat iranien à Damas le 1er avril, et fait plusieurs morts, dont deux généraux. L’Iran a répliqué le 13 avril en lançant des centaines de drones et de missiles contre Israël, qui a su les intercepter presque tous.
« Joe Biden marche sur des oeufs à cause d’Israël, mais je pense que la crise iranienne a fait prendre conscience aux républicains que ce n’est pas le moment de miner le leadership du président, conclut Charles-Philippe David. Je ne sais pas ce qui va arriver dans une semaine, ou un mois. Peut-être que Donald Trump va faire des déclarations incendiaires et que les républicains vont encore faire toutes sortes de niaiseries. Mais disons que ce week-end, on a eu un moment de prise de responsabilité, selon le principe de SpiderMan. C’est peut-être une parenthèse, mais c’est une parenthèse appréciée par un paquet de gens… »