« Elle aimait inventer des choses »
Le centenaire de Marcelle Ferron donne l’occasion de révéler un inusité corpus en verre
C’est par des verrières comme celle qui anime de ses couleurs la station de métro Champ-de-Mars que la peintre Marcelle Ferron (1924-2001) demeure présente dans l’imaginaire collectif. Ces immenses oeuvres, qu’on peut voir aussi à la station Vendôme, à l’hôpital Sainte-Justine ou au palais de justice de Granby, par exemple, ont un pendant méconnu, issu d’explorations réalisées dans l’intimité de l’atelier. En cette année de son centenaire de naissance, ces petits objets arrivent sur le marché.
« Elle avait son four, elle avait ses livres sur la réaction du verre à la chaleur. Elle revenait [de l’atelier] avec ses plaques de verre, nous les montrait. Elle aimait inventer des choses », raconte en entrevue Babalou Hamelin, la troisième des filles que Marcelle Ferron a eues dans les années 1950.
Virtuellement centenaire depuis le 29 janvier, la signataire de Refus global a droit à des célébrations qui se déroulent toute l’année sous de multiples formes, entre une conférence itinérante et une visite guidées de ses oeuvres publiques à Montréal. Et la grande exposition hommage ? Elle a lieu, mais pas dans un musée.
L’exposition Le centenaire. Peintures, oeuvres sur papier et verre fusionné a lieu à la galerie Simon Blais, qui aura représenté l’artiste dans les dernières années de sa vie. Simon Blais gère aujourd’hui « l’inventaire de la succession », et la centaine d’oeuvres exposées cette fois, sauf exception, provient de ce riche fonds.
Toutes les époques y sont représentées, ou presque — les plus anciens exemples, deux gouaches, datent de 1956. Les explorations en verre fusionné, nées des retailles récupérées par l’artiste de ses propres oeuvres, s’y trouvent aussi. La fusion se faisait dans l’imprévisibilité d’un four à céramique.
« Notre exposition n’est pas révolutionnaire, reconnaît Simon Blais, sauf pour la partie verre fusionné. On fait un travail de mise en valeur qui n’a jamais été fait. » C’est Babalou Hamelin qui l’a mis au courant, il y a un an et demi, de l’existence de ce corpus dont il ne connaissait que quelques cas, car ils avaient seulement été exposés dans les années 1970. Une trentaine de pièces, pour laquelle un support adéquat à chacune a été fabriqué, sont à découvrir dans la dernière salle.
Déjà hôte d’une rétrospective Ferron en 2008, la galerie Simon Blais récidive en multipliant les petits formats. Des peintures d’ampleur importante y figurent, dont des tableaux verticaux, une des signatures de l’artiste, et un d’un inusité format rond (un tondo) réalisé en 1998 pour une exposition collective à la maison de la culture Marie-Uguay, Tondo Tondi. Une publication traitant exclusivement des oeuvres en verre fusionné complète les efforts de mise en valeur. Elle s’ouvre sur le verre « no 0 », magnifié sur l’affiche d’une rétrospective de… 1973.
Lié à des artistes comme Jean Paul Riopelle et Françoise Sullivan, Simon Blais n’est pas à plaindre en ce qui a trait aux centenaires. Or, on le sent amer du manque d’attention à l’égard de Marcelle Ferron.
« Je voulais souligner l’anniversaire comme peu de gens l’ont fait, aucune institution, sauf [le Musée national des beaux-arts du Québec] avec une petite présentation la dernière semaine de janvier et [le Musée du Bas-Saint-Laurent] avec un accrochage de cinq tableaux. Comme représentant de la succession, mon rôle est de la valoriser et de faire comprendre que l’artiste a fait des oeuvres intelligentes, significatives, belles aussi, à toutes les époques de sa vie », explique-t-il.
« C’est décevant, mais c’est comme ça, poursuit-il. Les musées ont leurs raisons. [Marcelle Ferron] n’était pas une priorité. Est-ce que ça envoie un message qu’elle n’est pas assez importante dans l’histoire ? Peut-être, mais on peut ajouter les noms de Jacques Hurtubise, de Jean McEwen. Il n’y a personne qui a pensé faire une grande exposition McEwen [centenaire en 2023], alors que c’est un des plus grands. »
La rétrospective du vivant de Marcelle Ferron a eu lieu cependant au Musée d’art contemporain de Montréal, un an avant son décès. Les grands pans de son oeuvre s’y trouvaient. Mais tout n’avait pas été dit, constate Simon Blais.
Babalou Hamelin ne s’en fait pas, car la mémoire de sa mère, croit-elle, est assurée par ses oeuvres publiques. « Ça ne peut pas être effacé. C’est ce qui est beau dans l’art public. Ça n’appartient pas à une personne. Et c’était important pour Marcelle de permettre aux gens de voir de la couleur, de vivre dans la couleur », dit la plus artiste des trois soeurs — elle est monteuse de films de fiction et de documentaires.
« J’ai adoré ma mère. Une passionnée. Elle disait que la peinture était un amour fatal. Ce n’est pas un malheur d’être enfant d’artiste », souligne Babalou Hamelin.
Le centenaire.
Peintures, oeuvres sur papier et verre fusionné
À la galerie Simon Blais, 5420, boulevard Saint-Laurent, jusqu’au 22 juin