Les apprentis enseignants se font plus rares
Une baisse des effectifs est visible dans plusieurs programmes universitaires
Malgré les mesures incitatives mises en place par le gouvernement Legault, le nombre d’étudiants inscrits aux programmes destinés à former les futurs enseignants des écoles primaires et secondaires du Québec a baissé de plus de 4 % l’an dernier, a constaté Le Devoir. Des experts et des élus d’opposition à l’Assemblée nationale en appellent à une réflexion de fond pour rendre la profession plus attrayante.
Pour l’année scolaire en cours, ce sont quelque 1100 étudiants de moins qu’un an auparavant qui se sont inscrits à un programme universitaire en sciences de l’éducation, montrent des données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) mises à jour le mois dernier. Cela représente une baisse annuelle de 4,13 % des effectifs dans ce vaste domaine d’études, une chute qui atteint 6,25 % pour les formations en enseignement spécialisé et en adaptation scolaire, puis 12,06 % pour la formation des professeurs en enseignement professionnel, dans le réseau secondaire et collégial.
L’analyse des données de l’ISQ par Le Devoir montre d’ailleurs que, pour plusieurs des programmes universitaires en enseignement, les effectifs étudiants à l’automne 2023 sont inférieurs de plusieurs points de pourcentage à la moyenne calculée depuis 2016. Cette baisse est par exemple de 6,42 % pour l’enseignement spécialisé au primaire et au secondaire, et de plus de 16 % pour les programmes de formation des enseignants qui offrent des cours donnant accès à un diplôme d’études professionnelles (DEP).
« C’est une tendance lourde » à la baisse, conclut Geneviève Sirois, professeure en administration scolaire à l’Université TÉLUQ et professeure associée à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. « Le problème actuellement, au Québec, c’est qu’il n’y a pas de plan pour faire face à la pénurie d’enseignants », poursuit l’experte. Or, « il faut s’en préoccuper, parce que nos enfants se font actuellement enseigner par plusieurs enseignants non légalement qualifiés », la pénurie ayant eu pour effet de réduire les exigences du réseau scolaire en matière de recrutement, souligne-t-elle.
L’« échec » des bourses Perspective
En 2021, le gouvernement Legault a annoncé un investissement de 1,7 milliard de dollars sur quatre ans pour la mise en place des bourses Perspective, destinées aux étudiants de différents milieux aux prises avec une pénurie de main-d’oeuvre. Dans le milieu de l’éducation, cependant, « ces bourses ont raté complètement la cible », lance Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, qui n’hésite pas à qualifier cette mesure incitative d’« échec ».
Le gouvernement a par ailleurs mis en place des formations courtes de 30 crédits qui ont permis de limiter la diminution du nombre d’étudiants obtenant un brevet d’enseignement chaque année. Or, la professeure Sirois
soulève le risque que les enseignants ainsi formés de justesse ne disposent pas des connaissances requises pour transmettre certains savoirs essentiels à leurs élèves, notamment dans les classes d’adaptation scolaire.
« C’est une solution temporaire à un problème qui est beaucoup plus grave », estime pour sa part Marc-Antoine Charette, étudiant au doctorat à l’Université de Sherbrooke, où il s’intéresse au milieu de l’éducation. Selon lui, ces formations accélérées risquent de contribuer à « la dévalorisation de la profession » d’enseignant, rendant par le fait même celle-ci moins attractive à long terme. « C’est un cercle vicieux », prévient-il.
La députée libérale de Mont-Royal– Outremont, Michelle Setlakwe, se dit quant à elle particulièrement préoccupée par la baisse du nombre d’étudiants souhaitant enseigner les savoirs menant à un DEP. « Au niveau professionnel, ce sont des métiers qui sont souvent très importants dans le cadre de la pénurie de main-d’oeuvre. Ce sont des métiers qu’on ne peut pas se permettre d’échapper », souligne-t-elle.
Un appel à la patience
Joint par Le Devoir, le cabinet du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, lance un appel à la patience. « C’est certain qu’on préférerait voir des améliorations rapides, mais soyons clairs, il est beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions sur la réussite ou non des mesures en place », affirme-t-il par courriel.
Ce dernier souligne qu’il n’existe pas de « solution magique » à la pénurie d’enseignants au Québec et que « ça prend du temps, inverser une tendance » comme celle-ci.
Le ministre dit également que les ententes de principe qui ont été conclues entre Québec et les syndicats en enseignement de la province en février permettront de « rendre la profession attractive et d’augmenter dès l’an prochain le nombre d’inscriptions » dans des programmes universitaires en enseignement. « On croit fermement que les améliorations importantes apportées aux conditions de travail nous permettront d’y arriver », entrevoit le cabinet. Une « campagne de valorisation de la profession » verra par ailleurs le jour « dans les prochains mois », ajoute-t-il.
Le gouvernement ne doit toutefois pas se contenter de trouver des moyens d’amener plus d’étudiants à s’intéresser à la formation en enseignement, réplique la députée solidaire Ruba Ghazal, il doit aussi trouver des moyens de mieux retenir les troupes du réseau public. « Il y a de moins en moins d’étudiants qui veulent aller en éducation, c’est ce qu’on voit avec vos chiffres. Mais il y en a aussi qui décrochent pendant les études et il y en a d’autres qui décrochent une fois qu’ils sont enseignants, avant d’avoir fait cinq ans », souligne-t-elle.
Il y a par ailleurs toute une « vague de départs à la retraite » d’enseignants « qui est en cours », ce qui viendra gonfler dans les prochaines années les besoins du réseau scolaire, rappelle Geneviève Sirois. Dans ce contexte, Québec doit trouver des moyens de garder ses enseignants, estime l’experte. Autrement, « c’est comme un bain qui n’a de bouchon. On ajoute constamment de l’eau, mais le bain continue de se vider », lance-t-elle.
Pour assurer une meilleure rétention des enseignants, le gouvernement doit s’attaquer au « système d’éducation à trois vitesses », qui a complexifié au fil des années la « concentration d’élèves à difficulté » dans le réseau scolaire régulier, estime Mme Ghazal. « Si le gouvernement ne s’attaque pas à l’école à trois vitesses, à ses inégalités à l’intérieur même de notre système de l’éducation, on n’arrivera pas à attirer plus de profs. »