Qui voudrait d’un univers littéraire rempli de golden retrievers ?
Saviez-vous que Montréal et Paris comptent un nombre de gratte-ciel à peu de chose près similaire ? Qu’à cela ne tienne : il y a moins de deux semaines, le Festival du livre de Paris a accueilli en grande pompe la délégation d’honneur du Québec… dans ce qui m’a semblé être une belle cabane de bois. Et si l’on se fie à l’illustration officielle du festival parisien, les 74 auteurs et autrices invités s’y seraient rendus en canot.
Ainsi, on peut sortir les autrices et les auteurs québécois du Québec, mais il est impossible d’évacuer certains clichés qu’entretiennent les Français à notre égard. (Si je participe un jour à un salon du livre, je promets d’attendre nos cousins la baguette sous le bras.) Quoi qu’il en soit, la fête semble avoir connu un franc succès avec plus de cent mille festivaliers. Voilà tout ce qui compte et il y a lieu de se réjouir pour l’industrie du livre.
Mais qui dit abondance et fête dit-il forcément « santé » ?
Les scientifiques nous indiquent pourtant le contraire : il faudrait, pour maintenir une bonne santé, consommer avec modération. Or, selon l’Association nationale des éditeurs de livres, pas moins de 6500 livres sont publiés annuellement au Québec, tous les genres et les types confondus. Il faudrait en lire près d’une vingtaine chaque jour de l’année pour en faire le tour. Abondance et donc, santé ? Rien n’est moins certain.
On peut se demander, par exemple, si le Québec a les moyens de ses ambitions littéraires. Et si c’était le cas, on peut aussi se demander pourquoi un si grand nombre d’éditeurs dépendent de subventions et de crédits d’impôt. Indice : parce que la culture n’est pas qu’une marchandise, voilà pourquoi.
Un éditeur me confiait récemment deux choses intéressantes à ce sujet.
Premièrement, un livre qui se vend 30 $ coûterait plus de 50 $ sans subventions. Qui achèterait des livres à 50 balles ? Le livre devrait-il devenir un objet précieux ?
Cela en réduirait forcément l’accès ; ce serait tragique.
Deuzio, il me disait aussi que, sans subvention, de petits auteurs inconnus — comme moi, a-t-il eu la gentillesse de préciser — n’arriveraient jamais à faire publier quoi que ce soit : devant l’impératif du succès commercial, les maisons d’édition ne prendraient plus aucun risque et ne publieraient que des auteurs déjà connus ou des personnalités publiques.
Un genre d’univers littéraire rempli de golden retrievers, puis c’est tout.
Ultimement, le fragile équilibre financier sur lequel le petit canot de l’édition québécoise tangue, entre subventions et publications, revient à une question cent fois posée : y a-t-il trop de livres publiés au Québec ? En France ? Dans le monde ? Poser la question, c’est y répondre.
Mais qui voudra bien s’abstenir d’écrire et de publier ?
Pas moi, en tout cas.
Et c’est un peu la réponse de tout le monde, j’ai l’impression.
Profitons donc de cette belle diversité et, surtout, ne la tenons pas pour acquise : la très grande majorité des éditeurs ne nagent pas dans le fric. Pour avoir échangé avec quelques-uns, la plupart sont à un succès près de faire un peu de sous ou de ne pas en faire du tout ; à un crédit d’impôt d’en faire un travail plutôt que du bénévolat.
Non, abondance et santé ne sont pas toujours synonymes. Mais le premier est nécessaire à une certaine vitalité et à l’émergence de petits bouledogues français, de lévriers, de shibas. On se paye ainsi une belle littérature, riche de sa diversité. Une littérature pas plate. Qui a du mordant.