À quels sondages de la présidentielle américaine s’en remettre ?
Dans cette rubrique tirée du Courrier des élections américaines, nos journalistes répondent à des questions de nos lecteurs.
Il existe des milliers de firmes de sondage aux États-Unis, et des centaines d’entre elles produisent quasi quotidiennement des enquêtes sur les intentions de vote des Américains. À quel saint se vouer et comment s’y retrouver dans cette masse d’informations?
Plusieurs facteurs peuvent influer sur la fiabilité d’un sondage, explique Vincent Raynauld, professeur de communication politique à l’Emerson College de Boston. On peut penser à la représentativité des personnes sondées, à la méthodologie utilisée pour entrer en contact avec elles et aux penchants politiques de certaines firmes.
Le professeur suggère à ceux qui veulent s’y retrouver et évaluer la crédibilité d’un sondage d’utiliser le classement établi par le site FiveThirtyEight, affilié à ABC News. FiveThirtyEight attribue des cotes de confiance aux firmes de sondage selon trois critères principaux: la feuille de route des sondeurs, les erreurs et les biais méthodologiques qu’on peut leur attribuer ainsi que la transparence dans le dévoilement des résultats.
Ce sont les sondages produits collectivement par le New York Times et le Sienna College qui arrivent au premier rang du palmarès, suivis de ceux d’ABC News-Washington Post et de la Faculté de droit de l’Université Marquette, située au Wisconsin. L’Emerson College, qui mène ses propres sondages, arrive au neuvième rang sur quelque 277 firmes étudiées.
Mais vaut mieux ne pas se fier à une seule firme et plutôt consulter plusieurs sondages différents, souligne Vincent Raynauld. À cet effet, le New York Times produit à l’occasion «un sondage des sondages» qui regroupe et résume les sondages effectués durant une période donnée.
« Quand on voit une tendance qui se répète d’un sondage à l’autre, c’est un bon signe. Mais quand on voit un sondage dont les résultats font bande à part, on peut se poser certaines questions, par exemple sur le moment où le sondage a été mené et la méthodologie utilisée. »
Les facteurs régionaux
M. Raynauld suggère également aux amateurs de porter une attention particulière aux intentions de vote dans un certain nombre d’États pivots. Ces swing states pourraient changer de camp entre républicain et démocrate et faire pencher la balance du pouvoir. Cette année, on compte parmi les États à surveiller la Pennsylvanie, le Wisconsin, le Michigan, l’Arizona, la Géorgie, la Caroline du Nord et le Nevada.
« Les sondages nationaux donnent une idée de ce qui se passe de manière générale, mais lorsqu’on regarde les sondages par État, on a une meilleure idée de la façon dont les grands électeurs vont être distribués. »
Pour rappel, le président des ÉtatsUnis n’est pas élu au suffrage universel, mais bien par un collège électoral dont les grands électeurs sont nommés État par État. Le nombre de grands électeurs des États varie en fonction du poids démographique de chacun. Pour devenir président, il ne faut pas nécessairement obtenir le plus grand nombre de voix, mais bien récolter l’appui d’une majorité de grands électeurs, soit de 270 ou plus.
Prendre le pouls
À environ six mois du scrutin — une éternité en politique —, les sondages récents sont-ils d’une quelconque utilité pour prédire le gagnant de l’élection du 5 novembre? Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire des ÉtatsUnis de la Chaire Raoul-Dandurand, croit que oui.
« Plusieurs observateurs vont dire qu’à six mois des élections, c’est trop tôt pour consulter les sondages. Mais si on se rapporte à la même période en 2020, les intentions de vote sont demeurées stables jusqu’aux élections en novembre. On peut s’attendre à ce que ça reste stable, à moins d’événements graves comme un attentat terroriste ou une crise internationale. »
Le candidat républicain, Donald Trump, bénéficie à l’heure actuelle d’une légère avance, mais les résultats changent peu d’un sondage à l’autre. Une stabilité que Frédérick Gagnon attribue au profil des deux candidats.
« Ce sont deux candidats très connus de l’électorat. Joe Biden est en politique depuis les années 1970, et il a été vice-président de Barack Obama pendant deux mandats. Trump est également très connu du public américain. Ils ont tous deux un mandat présidentiel derrière eux et ils se déjà sont affrontés en 2020. Les comparables sont déjà connus. À ce stade-ci, on ne risque pas d’apprendre quelque chose de nouveau sur eux. Alors que dans le passé, on apprenait davantage à connaître les candidats en cours de campagne, comme pour un Barack Obama en 2008 ou un Mitt Romney en 2012 [ce qui pouvait faire bouger les sondages]. »
Malgré cet air de déjà-vu, les choses sont loin d’être coulées dans le béton. Le calendrier électoral américain compte encore plusieurs dates importantes qui pourraient venir donner un souffle nouveau à l’un des deux candidats : les congrès nationaux des deux partis (en juillet pour les républicains, en août pour les démocrates) et les débats télévisés d’octobre, s’ils ont lieu. Sans parler des conséquences possibles sur l’électorat des différents procès auxquels fait face Donald Trump.
Autant d’événements qui pourraient faire osciller, temporairement ou durablement, les aiguilles des sismographes des observateurs de la politique américaine.
« Les sondages ne sont pas des outils parfaits », affirme Frédérick Gagnon, rappelant du même coup qu’en 2016, les sondages donnaient Hillary Clinton grande gagnante face à Donald Trump. « On s’appuie sur les sondages comme des outils pour connaître l’humeur d’un pays sur une question donnée. C’est utile pour parler de probabilité, mais pas pour prédire l’avenir. »
À quels sondages se fier pour la prochaine élection présidentielle ?
PAUL CRÊTE
Pour rappel, le président des ÉtatsUnis n’est pas élu au suffrage universel, mais bien par un collège électoral dont les grands électeurs sont nommés État par État