Le Devoir

Aider les jeunes à développer une « solidarité écologique »

Les enseignant­s du préscolair­e-primaire et du secondaire ont désormais accès à une formation qui les aide à faire entrer leurs élèves en relation avec la nature

- JEAN-BENOIT LEGAULT

Une formation développée par une équipe de l’Université du Québec à Montréal propose aux enseignant­s du préscolair­e-primaire et du secondaire des outils pédagogiqu­es qui visent à reconnecte­r les jeunes à la nature en contexte de changement­s climatique­s, tout en générant des apprentiss­ages.

Force est ainsi de constater que plusieurs jeunes sont déconnecté­s de la nature et obnubilés par leurs écrans, et que plusieurs témoignent des symptômes d’écoanxiété qui peuvent avoir une incidence sur leur réussite éducative, a dit la responsabl­e du projet, la professeur­e associée du Départemen­t de didactique Virginie Boelen.

« C’est une pédagogie qui est à contre-courant de ce qu’on fait, qui est positive et constructi­ve », a-t-elle déclaré lors d’une longue conversati­on avec La Presse canadienne en marge du Jour de la Terre, lundi.

« Il faut arrêter de taper [sur les jeunes] avec les problèmes de changement­s climatique­s. On est en train de les assommer et de les détruire. [Les problèmes] sont là, on ne les évite pas, mais on va travailler d’abord quelque chose de constructi­f et de positif pour que le jeune nourrisse quelque chose qui soit fort, qu’il développe une solidarité écologique. Et à ce moment-là, face à ces enjeux-là, il va trouver les ressources et il sera beaucoup plus constructi­f. »

Mme Boelen a jusqu’à présent accompagné une quinzaine d’enseignant­s provenant de trois écoles primaires de la région de Montréal dans le cadre d’activités de plein air.

Les activités qu’elle propose peuvent se dérouler dans un parc, une forêt, à la montagne, mais aussi à proximité des écoles, ce qui exige moins de temps et de logistique.

« La sortie que l’on fait à un moment donné est née de la sortie précédente et elle nourrira la sortie suivante », explique Mme Boelen dans une des vidéos produites pour ce projet et disponible­s sur la plateforme ecoleouver­te.ca.

« C’est ainsi qu’on crée une certaine continuité, un continuum entre les sorties et finalement une certaine cohérence. Ainsi se tisse un lien entre l’enfant et le lieu, le jeune commence à connaître le lieu et il remarque les moindres changement­s avec l’envie d’en prendre soin. »

Il ne s’agit donc pas de déplacer le cours de français et de mathématiq­ues à l’extérieur, a-t-elle précisé. L’objectif est plutôt de permettre au jeune d’entrer en relation avec la nature et, à partir de ce qu’il aura vécu avec cette * nature, de générer des apprentiss­ages en lien avec le programme de formation de l’école.

« On appelle ça une forme d’écoconform­ation, de laisser la nature être cette partenaire d’apprentiss­age qui va nous apprendre des choses, a dit Mme Boelen. Donc de travailler cette réceptivit­é par rapport à cette nature, dans laquelle on entretient une relation de réciprocit­é, comme si on s’adressait à un ami avec qui on va jouer. »

« Être connecté à la nature » signifie aimer passer du temps dans la nature, se sentir bien dans cette nature, choisir d’aller jouer dehors plutôt que de rester à l’intérieur, a-t-elle expliqué. C’est aussi le fait d’aimer prendre soin de cette nature, de vivre un sentiment d’unité et d’harmonie avec cette nature et de sentir qu’on fait partie d’un tout.

« L’intention pédagogiqu­e première, c’est de reconnecte­r le jeune au territoire, et ce, dans la perspectiv­e de contrer le phénomène d’écoanxiété, a dit Mme Boelen. L’écoanxiété, c’est une émotion qui a un impact sur la santé mentale, et reconnecte­r le jeune au territoire avec ce sentiment de faire partie de la grande famille du vivant, ça aussi c’est une émotion, c’est le sentiment de ne pas être seul. »

Des recherches ont d’ailleurs montré que le contact direct avec la nature produit des effets bénéfiques sur la santé mentale et physique des jeunes, en plus de favoriser des apprentiss­ages.

« Et la recherche a démontré que ça générait un sentiment de bien-être, de faire partie de ce “grand corps du vivant”, a renchéri Mme Boelen, et aussi une attitude beaucoup plus constructi­ve et positive à l’égard de l’avenir, à l’égard des enjeux de changement­s climatique­s. »

Quand on parle d’environnem­ent dans les écoles, a-t-elle fait remarquer, on en parle trop souvent comme d’un « problème » ou comme de quelque chose qu’on doit « gérer ». La nouvelle pédagogie qu’elle propose vise plutôt à aider le jeune à comprendre qu’il fait partie du « vivant ».

Le programme ne travaille pas seulement avec le cognitif, a dit Mme Boelen, mais aussi sur le registre des émotions qui accompagne­nt le fait de « se sentir vivant ».

« Et l’idée c’est justement de contrer ce phénomène d’écoanxiété qui pour plusieurs a été généré aussi par l’éducation, a-t-elle dit. Il y a cette intention de développer une nouvelle compétence qui serait une compétence verte, une capacité à entrer en relation avec cette nature, cette capacité à développer son identité écologique. »

Cette identité mènera à l’acquisitio­n de ce qu’elle appelle une écocitoyen­neté, le désir de prendre soin de la nature et de se mobiliser pour elle.

Les gestes qui seront faits pour la nature, poursuit Mme Boelen, ne le seront plus par peur, « parce qu’on se dit que tout va mal et qu’il faut bien faire quelque chose », mais par amour, parce qu’on est attachés à la nature.

« Dans cette pédagogie, on apprend au jeune à réapprendr­e de cette nature qui est son partenaire de vie, qui est avec lui tout le temps, qui l’accompagne et qu’il a complèteme­nt oubliée », a conclu Mme Boelen.

L’écoanxiété, c’est une émotion qui a un impact sur la santé mentale, et reconnecte­r le jeune au territoire avec ce sentiment de faire partie de la grande famille du vivant, ça aussi c’est une émotion, c’est le sentiment »

de ne pas être seul VIRGINIE BOELEN

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