Le Devoir

Une locataire à risque d’itinérance poursuit la Ville de Montréal

Carla White se tourne vers la Cour supérieure pour s’opposer à la démolition par un promoteur du bâtiment où elle réside

- ZACHARIE GOUDREAULT LE DEVOIR

Une locataire qui dit craindre de se retrouver à la rue poursuit la Ville de Montréal devant la Cour supérieure, a appris Le Devoir. Elle espère ainsi contraindr­e l’administra­tion municipale de retirer à l’entreprise Mondev l’autorisati­on de démolir le bâtiment qu’elle habite, en face de la place Émilie-Gamelin, pour réaliser un vaste projet immobilier.

Depuis 2013, Carla White occupe un logement situé sur la rue Saint-Hubert, à quelques pas de la place Émilie-Gamelin, pour lequel elle débourse un loyer mensuel de 400 $. Son appartemen­t est cependant le seul habité du bâtiment de trois étages que le géant de l’immobilier Mondev souhaite démolir depuis plusieurs années pour réaliser un projet de 176 logements. Le site comprend notamment l’ancien restaurant Da Giovanni.

Le comité de démolition de l’arrondisse­ment de Ville-Marie a d’abord refusé le printemps dernier d’octroyer les permis de démolition réclamés par l’entreprise, indiquant que celle-ci devait d’abord prouver, documents à l’appui, que le dossier concernant le déménageme­nt de la locataire avait été réglé d’un commun accord.

Pendant l’audience qui a précédé cette décision du comité, le promoteur avait affirmé avoir proposé à la locataire à l’automne 2022 de louer un appartemen­t situé dans un autre bâtiment pour le même loyer. Un logement qu’a toutefois refusé Carla White sans l’avoir visité, puisque l’entrée du bâtiment en question ne lui apparaissa­it pas sécuritair­e.

Le promoteur lui a ensuite proposé, en janvier 2023, une somme de 20 000 $ en échange de son départ des lieux. Elle a refusé l’offre, jugeant qu’elle ne lui permettrai­t pas d’accéder à un logement à long terme, au moment où les loyers grimpent en flèche dans la métropole.

Un permis de démolition contesté

Puis, le mois dernier, l’arrondisse­ment a remis au promoteur un permis de démolition de l’immeuble où loge Mme White sous prétexte qu’il avait réalisé tous les efforts requis pour tenter de régler le dossier de cette locataire. Cette dernière a alors reçu un avis ordonnant son départ des lieux d’ici le 30 juin.

Or, aucune option complément­aire à celles évoquées par Mondev lors de l’audience du comité de démolition, l’an dernier, n’a été proposée depuis à Mme White. « On était prêts à entretenir d’autres options, mais on nous a dit non, il n’y a pas d’autres logements », affirme en entrevue l’avocat de la locataire, Manuel Johnson, en référence aux gestionnai­res de Mondev.

L’avocat soutient donc, dans une poursuite déposée lundi au palais de justice de Montréal, que la décision de la Ville de changer de position dans ce dossier en octroyant un permis de démolition à Mondev sans que l’entreprise ait conclu un accord avec la locataire est illégale.

« Le simple passage du temps ne constitue pas un changement de situation », relève la poursuite. Manuel Johnson affirme pourtant que sa cliente aurait été ouverte à visiter d’autres appartemen­ts dans la métropole si l’entreprise Mondev lui avait proposé d’autres options. Cela n’a toutefois pas été le cas, affirme Me Johnson, qui tentera d’obtenir de la Cour supérieure la suspension du projet de démolition de ce bâtiment le temps que Mondev et Carla White concluent un accord afin de reloger cette dernière à un endroit répondant à ses besoins.

Car autrement, la locataire âgée risque de se retrouver à la rue, comme lorsqu’elle a été évincée de son logement précédent, en 2011. « La perte de son logement pourrait causer un préjudice irréparabl­e à sa santé, dans un contexte où elle risque de se retrouver sans abri », indique la poursuite judiciaire.

Crise du logement

Une première audience dans ce dossier aura lieu le 23 mai. Si la démolition du bâtiment où réside Carla White est mise en suspens, cela pourrait avoir pour effet de retarder la réalisatio­n du projet immobilier prévu par Mondev en face de la place Émilie-Gamelin.

« On a fait une offre à la madame qui était excessivem­ent généreuse. On lui a offert un logement très récent, au même prix, à un loyer fixé à vie pour elle. Puis, on lui a fait une offre de 20 000 $, et elle n’a pas accepté cette offre », lance le président de Mondev, David Owen. Or, entre-temps, ce projet immobilier tarde à voir le jour en pleine « crise du logement », déplore le promoteur.

« On a été extrêmemen­t généreux avec la dame. Mais tout ce qu’elle a fait, c’est retarder l’arrivée de centaines de logements dans un secteur qui a besoin de revitalisa­tion », a poursuivi M. Owen en entrevue.

Le cabinet de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a refusé de commenter la situation.

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VALÉRIAN MAZATAUD ARCHIVES LE DEVOIR Le bâtiment, situé en face de la place Émilie-Gamelin, sera démoli pour faire place à un vaste projet immobilier.

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