Le Devoir

La beauté, clé négligée de l’acceptabil­ité

- Virginie Dostie-Toupin L’autrice est mère de quatre enfants et conseillèr­e municipale à Saint-Lambert.

Depuis le début de la crise du logement, nous avons nommé de nombreux obstacles au développem­ent urbain : inflation, pénurie de maind’oeuvre et cloisons improducti­ves dans la constructi­on, bureaucrat­ie excessive… Toutefois, l’éléphant dans la pièce demeure la beauté, un aspect crucial de l’acceptabil­ité dont nous parlons trop peu.

D’emblée, soulignons un fait méconnu et sidérant : avec le zonage actuel, il serait impossible de reproduire les quartiers les plus attrayants du Québec. En effet, des lieux emblématiq­ues comme le Plateau Mont-Royal ou le

Vieux-Québec, dont la beauté ravit ses résidents et attire des foules de touristes, ne pourraient pas émerger aujourd’hui. Ils seraient bloqués en vertu de restrictio­ns techniques comme les usages permis, le nombre d’étages ou l’implantati­on au sol. Le zonage est souvent perçu comme un outil de protection salutaire, mais lorsqu’il se révèle trop restrictif, il peut également étouffer la créativité et empêcher la reproducti­on de milieux vivants — et magnifique­s !

Dans les discussion­s qui animent les comités consultati­fs d’urbanisme, la beauté n’est jamais nommée explicitem­ent, écartée sous prétexte qu’il s’agit d’un critère trop subjectif. Pourtant, c’est principale­ment à travers ce prisme familier que les citoyens évaluent les projets. Si la beauté d’un style architectu­ral nécessite une explicatio­n, il est probable qu’elle ne soit pas évidente. Au fond, la beauté constitue un critère plus objectif qu’on le croit et qui, lorsque négligé, s’érige en obstacle majeur à l’acceptabil­ité sociale.

Ironiqueme­nt, lors des consultati­ons publiques, les débats civiques se cristallis­ent souvent autour du nombre d’étages. Cependant, un étage supplément­aire transforme parfois un projet banal en un ouvrage distinctif. L’explicatio­n est simple et comptable. Le fait de rentabilis­er l’espace vertical donne les moyens aux promoteurs de privilégie­r des matériaux de qualité, de jouer avec les volumes et d’inclure des éléments architectu­raux intéressan­ts sur les façades. Bref, cela permet de s’attarder au souci du détail. À l’inverse, trop limiter la hauteur favorise l’émergence de blocs monolithiq­ues, sans verdisseme­nt et sans marge pour l’embellisse­ment.

S’ensuit un cercle vicieux difficile à briser. La laideur crée un effet délétère durable, une appréhensi­on indélogeab­le face aux nouveaux projets de développem­ent.

Contrecarr­ons cette tendance en favorisant des projets qui améliorent non seulement la qualité de vie actuelle grâce à une architectu­re attrayante et une mixité d’usages, mais qui honorent aussi nos engagement­s envers les génération­s futures. Comme l’a affirmé Maxime Pedneaud-Jobin : « Nous construiso­ns pour cent ans. » Le patrimoine n’est pas qu’un vague écho du passé, c’est aussi un legs à façonner, qu’on espère digne d’être protégé.

Nous oublions parfois à quel point le fait d’être plongé dans un beau cadre, vert et luxuriant influence notre bien-être. À cet égard, l’iniquité environnem­entale entre quartiers riches et pauvres est fréquemmen­t nommée. Nous évoquons moins souvent le déséquilib­re de la beauté. La pénurie de logements abordables qui sévit actuelleme­nt constitue une occasion en or de rétablir l’équilibre. À travers le monde, plusieurs exemples attestent qu’il est possible de construire des logements qui sont à la fois abordables et esthétique­s. Le grand chantier qui débute chez nous devrait constituer une preuve supplément­aire.

L’urbanisme divisera toujours, car il siège au coeur des tensions entre l’individuel et le collectif. D’ailleurs, aux États-Unis, de curieux acronymes désignent les deux camps du phénomène « Pas dans ma cour », soit les NIMBY (« not in my backyard »), qui abhorrent le développem­ent, et les YIMBY (« yes in my back yard »), qui l’applaudiss­ent. Manifestem­ent, il semble qu’un troisième groupe pourrait compléter la nomenclatu­re : les « picky YIMBY », c’est-à-dire les gens qui se montrent a priori favorables au développem­ent, mais exigent de hauts standards, sans compromis.

Le développem­ent s’avère inéluctabl­e, mais les bâtiments intéressan­ts ne le sont pas. Embellisso­ns le développem­ent plutôt que de nous y opposer systématiq­uement ou de le soutenir aveuglémen­t.

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