La vie devant soi
Avec Cette colline n’est jamais vraiment silencieuse, l’auteur et metteur en scène Gabriel Charlebois-Plante atteint un sommet
Les quatre personnages de la nouvelle création de Gabriel Charlebois-Plante ont la vie devant eux, littéralement, et une « chambre à soi », dont ils sont cependant captifs. Entre quatre murs, postés à leur fenêtre, ils observent le monde extérieur. Certains travaillent, d’autres font des listes, d’autres encore prient. Tous tournent en rond, incapables de franchir la porte, dévorés qu’ils sont par l’angoisse et le doute, prisonniers de pensées obsédantes qui les étiolent. Percutante relecture du mythe de Sisyphe, Cette colline n’est jamais vraiment silencieuse est un spectacle qui s’offre à nous et à notre époque comme un miroir au reflet pour le moins troublant.
Codirecteur de la compagnie Création dans la chambre — qui aura rarement aussi bien porté son nom que ces jours-ci —, Charlebois-Plante poursuit le travail qu’il avait entamé en 2018 en revisitant Le Cid de Corneille dans un dispositif scénique inusité. Cette fois, les interprètes évoluent sur un plateau recouvert de cinq tonnes de roches, ce qui est impressionnant en soi, mais qui sert surtout brillamment le propos. Dans ce théâtre de l’absurde, où comique et tragique vont de pair, où l’agoraphobie agit comme l’habile métaphore d’une époque anxiogène qui érige l’individualisme en dogme, Étienne Lou, Amélie Dallaire, Élisabeth Smith et Papy Mbwiti offrent une performance de haut vol. Leurs corps, assaillis, douloureux, en constant déséquilibre, sont engagés dans une partition frénétique et convulsive qui force l’admiration.
Depuis 2012, Charlebois-Plante a adopté plusieurs registres : de la logorrhée d’Histoire populaire et sensationnelle jusqu’au minimalisme de Cube blanc et Clap clap en passant par le ludique Plyball, sans oublier un détour chez Rabelais. Depuis Sur l’apparition des os dans le corps, présenté l’an dernier au Prospero, l’auteur semble affairé à un alliage des différentes tonalités qui l’habitent. Écrit d’un trait durant une nuit ensoleillée au sommet d’un volcan islandais — c’est ce que nous a révélé le créateur —, Cette colline n’est jamais vraiment silencieuse entrelace quatre voix coupables, quatre destins enchaînés qui se font brillamment écho afin d’interroger de manière captivante et sans jamais prêcher les notions de pouvoir, de châtiment et d’expiation.
Dans cette plongée de soixante minutes où rien n’est laissé au hasard — chaque geste, chaque déplacement, chaque mot occupant une position très précise dans l’engrenage —, et où le dépouillement est une règle d’or, on doit saluer le travail d’Odile Gamache (scénographie) et de Christophe Lamarche-Ledoux (musique), mais il faut encenser celui de Julie Basse (éclairages), dont l’ingénieuse conception à un seul projecteur (de poursuite) est ni plus ni moins qu’un cinquième personnage. Son faisceau lumineux balaie l’espace, oriente le regard, offre un cadre à l’action, donne une matérialité à la dichotomie qui est au coeur de ce spectacle sans faute, celle opposant l’intérieur à l’extérieur.