Faux marketing ou écoblanchiment ?
Le CQDE invite les consommateurs à faire une plainte s’ils ont un doute sur un produit
Qui fait les vérifications en ce qui concerne les emballages qui indiquent utiliser 43 % de matières recyclées ? Un shampoing « vert » ? Une voiture « responsable » ? Un vêtement plus « durable » ? Et cette saucisse « amie du climat » ou ce gazoduc « carboneutre » passent-ils le test de la vérité ?
Vous êtes probablement sceptiques devant ces prétentions, mais il demeure difficile de départager le marketing permis de l’écoblanchiment. Avant de baisser les bras devant le fatalisme des consommateurs, le Centre québécois en droit de l’environnement (CQDE) nous invite à mieux reconnaître les cas potentiels d’écoblanchiment et à les signaler aux autorités.
« Il faut surtout que les gens sachent que ce n’est pas compliqué de faire une plainte », dit Julien O. Beaulieu, avocat et chercheur au CQDE, qui participera à un webinaire sur la question mercredi. On peut téléphoner ou encore remplir un formulaire, sur le site Web de l’Office de protection du consommateur (OPC) ou sur celui du Bureau de la concurrence.
Ces deux instances publiques sont responsables de faire appliquer les lois encadrant l’écoblanchiment. Les lois en vigueur, tant au fédéral qu’au provincial, sont plutôt claires : la base est qu’on ne peut pas faire de publicité fausse ou trompeuse.
« Mais la loi ne dit pas précisément ce qui est faux ou trompeur », explique l’avocat, et c’est là toute la difficulté. Il donne l’exemple des termes génériques « vert », « responsable » ou « durable ». « Est-ce que c’est inévitablement trompeur ? Ça pourrait l’être, car tout a une empreinte environnementale. Mais on ne le sait pas, car aucune décision n’a donné une interprétation du point de vue d’une allégation environnementale », explique Me Beaulieu.
Pour signaler un cas, il suffit de nommer l’entreprise qui fabrique le produit, d’expliquer en termes profanes — et non pas juridiques — pourquoi on croit qu’il s’agit d’écoblanchiment. « Pas besoin de citer des articles de loi », précise-t-il. On peut ajouter des preuves, comme des captures d’écran ou des photos, par exemple, pour montrer la prétention écologique d’un produit ou d’un service.
« C’est aussi simple que ça : vous êtes à l’épicerie, vous voyez quelque chose de bizarre, vous prenez une photo et vous remplissez le formulaire en quelques minutes », illustre-t-il.
Peu de plaintes, peu d’actions
Il existe aussi d’autres pratiques publicitaires interdites, comme passer sous silence un fait important ou faire valoir un produit en s’appuyant sur une donnée ou une analyse faussement scientifique. « Quelqu’un qui laisserait entendre qu’une chose est compostable, mais que ça n’a pas été analysé, ça pourrait entrer dans ce genre de situation », dit l’expert.
Mais comment le savoir ? C’est là que ça se corse. Dans le doute, pourquoi ne pas déposer une plainte à l’une des instances responsables ? fait valoir le CQDE. Plus il y aura de cas examinés dans le détail, plus l’encadrement sera renforcé. Julien O. Beaulieu indique aussi que plus d’informations devraient être à la disposition des consommateurs. La législation en Californie prévoit un droit d’obtenir toutes les preuves au soutien d’une allégation environnementale, « une disposition bien plus avancée », remarque-t-il.
Son organisation a d’ailleurs proposé plusieurs manières d’améliorer le paysage réglementaire dans un rapport paru en 2022. « Oui, ça prend des changements dans les lois, mais pour ça, il faut aussi s’assurer d’envoyer un message plus clair », note-t-il.
Plusieurs ONG déposent des plaintes, mais elles restent trop rares pour que les instances se mobilisent, admet l’OPC. « Jusqu’à maintenant, à première vue du moins, si nous nous fions aux plaintes comme baromètre des préoccupations des consommateurs, la question de l’écoblanchiment ne se démarque pas encore », écrit au Devoir Charles Tanguay, responsable des relations avec les médias pour l’OPC.
En d’autres mots, le voyant n’est pas encore rouge sur leur radar. C’est qu’ils ont des ressources limitées et qu’ils doivent se concentrer sur les plaintes reçues, reconnaît Me Beaulieu.
Est-ce à dire que cette question ne préoccupe pas les citoyens (et vous, chers lecteurs) ? Une enquête menée par l’International Consumer Research and Testing a pourtant conclu que 84,3 % des consommateurs canadiens souhaitent un encadrement plus strict de l’écoblanchiment. La plupart des Canadiens sont également déjà sceptiques quant aux affirmations de durabilité des entreprises, a aussi conclu une enquête de la firme Deloitte en 2022.
Quelques plus grosses affaires ont par ailleurs été médiatisées. Keurig Canada, par exemple, a conclu une entente avec le Bureau de la concurrence par rapport à ce qui était écrit sur ses capsules de café. Les capsules K-Cup à usage unique indiquaient être recyclables, mais en dehors du Québec et de la Colombie-Britannique, les programmes de recyclage municipaux ne les acceptaient pas.
Une enquête du Bureau avait donc conclu que les indications données sur la recyclabilité étaient « fausses ou trompeuses ». L’entreprise a alors accepté de payer une amende de 3 millions de dollars et de faire un don de 800 000 $ à un organisme qui soutient des causes environnementales, en plus de rembourser les frais de l’enquête du Bureau de la concurrence. Des leviers existent donc et vous pouvez les actionner, affirme Julien O. Beaulieu.
Quelqu’un qui laisserait entendre qu’une chose est compostable, mais que ça n’a pas été analysé, ça pourrait entrer dans ce genre de situation » JULIEN O. BEAULIEU