La détresse répercutée sur les employés de l’IVAC
Depuis la réforme, ils se sentent « impuissants » face aux victimes et croulent sous les dossiers
Il n’y a pas que les victimes d’actes criminels qui subissent les contrecoups d’une réforme du gouvernement Legault : les employés du régime d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) se sentent « impuissants » face aux victimes et croulent sous un millier de dossiers en attente. Un « véritable calvaire », selon leur syndicat.
Récemment, des représentants du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) ont contacté leurs membres qui travaillent comme agents d’indemnisation pour la CNESST, de qui relève l’IVAC.
Au bout du fil, « il n’y a pas une personne qui n’a pas pleuré », relate le président du SFPQ, Christian Daigle. Les représentants syndicaux « n’ont jamais vu des gens aussi en détresse que ça ».
Au Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), la situation est la même. Les employés — des chefs d’équipe, des conseillers en réadaptation ou des analystes, entre autres — se sentent « impuissants » face aux victimes désemparées à l’autre bout de la ligne, rapporte le président, Guillaume Bouvrette.
En 2021, l’Assemblée nationale a adopté le projet de réforme de l’IVAC du gouvernement Legault. Celle-ci élargit l’accès à l’aide aux victimes, mais elle impose aussi une limite temporelle aux versements des indemnités. Plusieurs victimes reçoivent donc des lettres les avisant que leurs prestations seront amputées à compter du 13 octobre 2024, trois ans jour pour jour après l’adoption de la réforme.
« Plusieurs ont des “death dates” au 13 octobre, d’autres épluchent à la fois toute la documentation de l’IVAC ainsi que les procédures pour obtenir l’aide médicale à mourir », écrit au Devoir une victime, Josianne Parent. Elle-même dit songer à une mort assistée. « Pas de soins, pas de dignité et, bientôt, pas de revenus, ni de chances de s’en sortir », dit-elle.
1000 dossiers en attente
Les employés de l’IVAC chargés d’annoncer à des personnes comme Mme Parent que leurs prestations prendront fin sont en train de craquer, selon leur syndicat.
« [Les victimes] ne savent plus à quel saint se vouer, et nos gens ne savent plus quoi leur répondre. Ils disent : “je fais juste appliquer la loi qui a été votée”. Ils vivent de la détresse psychologique, les agents d’indemnisation veulent les aider, mais ils sont “pognés” pour leur annoncer qu’ils vont peut-être se retrouver sans rien en octobre », relate M. Daigle.
Pas moins de 500 dossiers sont en attente d’ouverture, rapporte-t-il. « Ce sont
Ils vivent de la détresse psychologique, les agents d’indemnisation veulent les aider, mais ils sont “pognés” pour leur annoncer qu’ils vont peut-être se retrouver » sans rien en octobre CHRISTIAN DAIGLE
donc des dossiers qui ont été déposés, des demandes d’indemnisation qui doivent être analysées », explique M. Daigle. En parallèle, 1000 dossiers sont en « attente de paiement ». Ils sont donc acceptés, mais les victimes attendent le versement d’indemnités. « Ça, c’est à part de tous les autres dossiers de gens qui sont déjà indemnisés, qu’il faut rappeler à cause de la nouvelle loi et de l’implantation de celle-ci », ajoute M. Daigle.
Cathy Chenard, de la direction des communications du ministère de la Justice, confirme que des représentants de l’IVAC communiquent « de manière systématique avec les personnes victimes qui reçoivent actuellement des indemnités pour incapacité totale temporaire en vertu de l’ancienne loi pour les informer du droit transitoire ». Si ces personnes « remplissent les critères prévus » à la nouvelle loi, elles pourraient être admissibles à une aide financière pendant une nouvelle période de deux ou trois ans, précise Mme Chenard.
Bouchon en vue
Pour être à nouveau admissibles, les victimes devront retourner voir un professionnel de la santé afin qu’il évalue leurs séquelles. Cette exigence a déjà été dénoncée par le Protecteur du citoyen, qui craint « une possible hausse des délais si des mesures d’atténuation ne sont pas mises en place ». Elle préoccupe aussi le SPGQ.
« On ne s’est pas donné les moyens de réussir cette réforme-là ni de la mettre en oeuvre correctement », observe M. Bouvrette. « La consigne que l’employeur a donnée, c’est qu’on ne peut pas recevoir de preuve d’incapacité médicale dès aujourd’hui et ainsi alléger la charge qui va nécessairement venir après le 13 octobre. Les gens qui étaient indemnisés vont devoir recommencer à zéro le processus pour être indemnisés. »
L’inquiétude des employés est double, dit-il. Elle concerne la charge de travail, mais aussi « la charge émotive très lourde » qu’implique le travail avec les victimes. Et c’est sans parler des risques de fraude, qui pourraient se multiplier si les employés n’ont pas les moyens de faire « les validations nécessaires », ajoute-t-il.
Comme les victimes, les employés de l’IVAC s’interrogent sur le délai de trois ans imposé par le gouvernement. « Les gens qui nous parlent ne comprennent pas d’où il vient. Il semble arbitraire. Ça aurait besoin d’être documenté, d’être expliqué », fait valoir M. Bouvrette. Le Devoir a demandé au ministère de la Justice sur quelles bases le délai de trois ans prévu dans la nouvelle loi avait été déterminé. Au moment de la réforme, « plus de 90 % des personnes victimes ne recevaient plus de remplacement de revenu au-delà d’une période d’aide de cinq ans », a répondu la directrice des communications.
Au SFPQ, M. Daigle affirme que la situation vécue par les employés de l’IVAC est sans précédent, et qu’elle aurait commandé une meilleure préparation de la part de l’employeur. « Il y a des informations qui ont été données, mais pas assez. Et encore présentement, il y a des questions que les agents d’indemnisation reçoivent qui ne trouvent pas de réponse », se désole-t-il. Dans une réponse fournie au Devoir en février, la CNESST avait affirmé que « les agents du Centre de relations avec la clientèle [avaient] été formés afin de soutenir adéquatement les victimes en fonction des nouvelles dispositions ».