Le Devoir

Cruauté et châtiments

- MARIE VASTEL

Il s’exerce une cruauté envers les femmes », déplorait récemment, d’une brève et désespéran­te justesse, Hillary Clinton, ancienne première dame et secrétaire d’État américaine. Et pour cause : au sud de la frontière, des États « rouges » rivalisent à tour de rôle d’inhumanité pour resserrer ce droit à l’avortement qui n’en est pratiqueme­nt plus un. À coups de lois par-ci, de contestati­ons judiciaire­s par-là. Une guerre de tranchées législativ­e et électorale qui, bien que théorique pour plusieurs de ses protagonis­tes, souvent masculins, comporte des conséquenc­es bien plus concrètes pour celles qui la subissent au quotidien.

Les aberration­s sont consternan­tes. Une femme du Texas qui, refusée aux urgences, se retrouve à faire une fausse couche dans les toilettes de l’hôpital. Une autre qui, ayant subi le même sort à l’accueil d’un hôpital de Caroline du Nord, accouche dans sa voiture en route vers un second établissem­ent et dont le bébé n’a pas survécu à une naissance dans de telles circonstan­ces. L’interdicti­on de l’avortement est maintenant telle aux États-Unis, par endroits, qu’il est même refusé en cas d’urgence.

Voilà le combat que menait l’Idaho mercredi jusqu’en Cour suprême américaine, l’État contestant, comme le Texas, que l’Emergency Medical Treatment & Labor Act fédéral contraigne leurs hôpitaux à fournir une interrupti­on de grossesse pour stabiliser une patiente en cas d’urgence. Un débat sémantique, au péril meurtrier, entre l’obligation de protéger la santé d’une mère ou de lui sauver seulement la vie en tout dernier recours.

En Arizona, jeudi, entrait en vigueur cette abominable décision de sept juges républicai­ns ayant validé une loi datant de 1864 et interdisan­t tout avortement, y compris en cas de viol ou d’inceste. La vie de la mère prévaut à nouveau comme unique exception. Fort heureuseme­nt, la procureure générale de l’État — une démocrate — a promis qu’elle ne l’imposerait pas.

Du côté de la Floride, sur laquelle se rabattaien­t les résidentes encore plus dépourvues des États voisins, l’avortement sera interdit au-delà d’à peine six semaines de gestation (soit parfois avant même qu’une femme constate qu’elle est enceinte) à compter du 1er mai.

L’abolition du rempart qu’offrait l’arrêt Roe v. Wade, en protégeant l’accès à l’avortement, a ouvert les vannes à son interdicti­on complète ou quasi complète dans près de la moitié des États. Sans que ces reculs plaisent pour autant à la population, puisqu’un sondage Gallop révélait, un an après cette révocation par la Cour suprême, qu’un nombre record d’Américains préférerai­ent que l’avortement demeure légal et que 52 % se disent aujourd’hui pro-choix, un sommet en 25 ans. Même la moitié des républicai­ns s’opposent à l’interdicti­on complète validée en Arizona, tout comme 82 % des électeurs démocrates.

Il n’est donc pas étonnant que le président Joe Biden se soit déplacé cette semaine en Floride, important État pivot, pour y dénoncer la « responsabi­lité » de Donald Trump dans « ce cauchemar » américain. Et pour tenter d’y mobiliser les appuis.

L’ex-président Donald Trump, empêtré dans son procès pénal à New York, se dépatouill­e quant à lui maladroite­ment entre les volontés d’une frange républicai­ne en cabale contre l’avortement (mais pas que, ciblant également la pilule abortive de même que la fécondatio­n in vitro) et l’anxiété populaire et la souffrance que cette croisade sème au pays. Vasouillar­d, Donald Trump se vante à la fois d’être « la personne fièrement responsabl­e » d’avoir permis l’annulation de Roe v. Wade, tout en assurant qu’il n’avaliserai­t pas, s’il est réélu président, une interdicti­on fédérale de l’avortement, après l’avoir promis précédemme­nt.

Ce débat social, qui a favorisé les démocrates aux scrutins tenus depuis deux ans, les républicai­ns sont raisonnabl­ement inquiets qu’il vienne de nouveau jouer les trouble-fêtes aux élections de novembre. Les droits des femmes ont beau être chancelant­s, la déterminat­ion de ces dernières à les défendre semble heureuseme­nt inébranlab­le.

Hillary Clinton avait aussi critiqué le Canada, il y a 14 ans, lorsque le gouverneme­nt conservate­ur de Stephen Harper avait exclu le financemen­t de l’avortement et de la planificat­ion familiale de sa grande initiative d’aide internatio­nale à la santé maternelle et infantile. La santé maternelle n’allant pas sans la santé reproducti­ve, avait-elle à l’époque affirmé.

Le chef conservate­ur Pierre Poilievre n’a pas précisé où il loge à ce chapitre. Et bien qu’il martèle qu’un gouverneme­nt sous sa gouverne ne légiférera­it pas dans le domaine de l’avortement, il autorisera­it néanmoins le tiers de son caucus s’y opposant à présenter de telles initiative­s parlementa­ires, comme ce fut le cas l’an dernier.

La lutte acharnée que mènent les Américaine­s au nom de toutes leurs consoeurs est source d’espoir, mais aussi de rappel à l’ordre. Qu’en l’espace de moins de deux ans leurs acquis aient ainsi volé en éclats n’a rien de rassurant. Les femmes devront surveiller, vigilantes, cette porte entrebâill­ée.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada