Le Devoir

Des pièces d’identité avec le marqueur « X » dès le mois de mai

La SAAQ a encerclé la date du 8 mai pour le début de la production de ces documents

- FRANÇOIS CARABIN À QUÉBEC LE DEVOIR Avec Isabelle Porter et Dave Noël

Les personnes non binaires, qui attendent ce moment depuis l’adoption d’une loi à l’Assemblée nationale il y a près de deux ans, pourront finalement obtenir des pièces d’identité marquées de la mention « X » au début du mois de mai.

Les personnes en attente d’un permis de conduire fidèle à leur identité non genrée peuvent encercler la date du 8 mai dans leur calendrier, a appris Le Devoir. Le marqueur « X » sera aussi « disponible sur la carte d’assurance maladie » au début du mois prochain, a annoncé la ministre chargée de la lutte contre l’homophobie et la transphobi­e, Martine Biron, en commission parlementa­ire mercredi aprèsmidi, sans toutefois préciser le jour.

Le gouverneme­nt avait confirmé début mars que les pièces d’identité des sociétés d’État comme la Régie de l’assurance maladie (RAMQ) et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) pourraient, comme prévu, afficher l’identité non genrée des personnes qui le demandent. Or, jusqu’à la semaine dernière, les deux refusaient encore dans leurs réponses aux médias de révéler la date à laquelle seraient produites les cartes en question.

« Nous serons en mesure de [le] préciser sous peu », s’était contenté de répondre le coordonnat­eur des relations médias, Gino Desrosiers, dans un échange de courriels, il y a une semaine.

En consultant un courriel de la SAAQ adressé à une personne ayant fait la demande de modificati­on, Le Devoir a toutefois pu confirmer que c’est « à compter du 8 mai 2024 [que] la SAAQ sera en mesure de traiter les demandes de modificati­on de la mention du sexe “M” ou “F” pour la mention “X” sur le permis de conduire ».

« Les personnes ayant déjà présenté une demande de modificati­on à la SAAQ seront […] contactées pour en être informées », a indiqué la société d’État. Environ 55 personnes étaient concernées, au dernier décompte.

Dans ses échanges avec Le Devoir, la RAMQ n’avait pour sa part cité aucune date, avant que la ministre Biron s’exprime sur la question mercredi après-midi. « Ce sera fait bientôt, assurément », avait simplement dit la porte-parole médias Caroline Dupont.

Le Directeur de l’état civil a déjà transmis à la Régie les dossiers de 520 personnes en attente d’une mention « X ». Leurs nouvelles cartes d’assurance maladie leur seront transmises en temps et lieu. « [Elles] n’ont pas de démarches à faire », a affirmé Mme Dupont mercredi.

Longue saga pour les personnes non binaires

Le gouverneme­nt travaillai­t depuis un certain temps sur le marqueur « X », avant que Martine Biron, ainsi que la ministre de la Famille, Suzanne Roy, repoussent son entrée en vigueur le temps que le comité de sages nommé pour se pencher sur les questions d’identité de genre rende son rapport final, à la fin de 2025.

Puis, au début du mois de mars, le comité de sages en question a finalement invité les organismes gouverneme­ntaux concernés à aller de l’avant, comme prévu.

En permettant à quiconque le demande d’inscrire « X » plutôt que « F » ou « M » sur ses documents d’identité, le gouverneme­nt se rangeait donc derrière l’esprit de sa propre loi, que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a fait adopter en 2022 et qui permettait aux personnes l’exigeant que leur marqueur de genre soit modifié dans les documents de l’état civil.

Alexe Frédéric Migneault, une personne non binaire en attente d’un changement sur sa carte d’assurance maladie, avait fait les manchettes en effectuant une grève de la faim pour obtenir gain de cause, l’an dernier. La RAMQ avait finalement accepté de se rendre en médiation, en février.

Selon Gen Ste-Marie, de l’organisme TransEstri­e, les personnes touchées sortent « épuisées », « anxieuses » et « fatiguées » de cet épisode : « Ces gens-là ont peur pour leur sécurité, et on rajoutait une couche en disant : “On va complexifi­er ça bien comme il faut au niveau administra­tif.” On se croyait un petit peu dans la maison des fous dans Astérix et Obélix. Il y a cette ambiance-là qui est très, très présente depuis quelques années. »

Celeste Trianon, juriste à la clinique Juritrans, reproche au gouverneme­nt d’avoir fait subir « sept, huit ans » d’attente à certaines personnes. « Le Québec est bon dernier, par plusieurs années, en ce moment », a-t-elle dit en entrevue.

« C’est ridicule, a-t-elle ajouté. Moi, je constatais des violations à la loi, par le gouverneme­nt lui-même, dans une situation que je qualifiera­is d’absurde. »

En préparatio­n depuis longtemps

Tant la RAMQ que la SAAQ travaillai­ent depuis un moment sur le marqueur « X ». Le Devoir a notamment obtenu par l’accès à l’informatio­n une analyse d’impact gouverneme­ntale « portant sur l’actualisat­ion des pratiques relatives au genre et au sexe ».

Ce document, qui a circulé dans les ministères et organismes gouverneme­ntaux (MO), proposait entre autres que « lorsque nécessaire, les MO [offrent] trois mentions à afficher sur les documents d’identité, soit “masculin”, “féminin” et “non binaire” représenté­es par les symboles littéraux “M”, “F” ou “X” », et qu’un « mécanisme rapide avec des exigences proportion­nées au niveau de sécurité » soit mis en place pour les personnes demandant un changement à leur marqueur de genre.

Le gouverneme­nt avait également produit le Guide des bonnes pratiques en communicat­ion verbale inclusive, aussi obtenu en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels.

On y rappelle que la langue française ne possède que deux genres grammatica­ux. « La non-binarité intervient forcément à l’extérieur de ce cadre », lit-on dans le document qui tient sur deux pages. Pour ses auteurs, mieux vaut aborder les citoyens avec des formules neutres, mais « chaleureus­es ». L’emploi du « Bonjour monsieur » ou du « Bonjour madame » est à proscrire, puisqu’il « comporte un certain risque [bien que petit] de mégenrer une personne ».

Pour éviter les déconvenue­s, il vaut mieux demander à son interlocut­eur de quelle manière il souhaite être appelé. « Est-ce que vous me permettez d’utiliser votre prénom dans cette conversati­on ? » suggère le guide. « Si vous pensez avoir commis une erreur et avoir mégenré une personne, présentez vos excuses et poursuivez la conversati­on. »

Selon le recensemen­t de 2021, les Québécois s’identifian­t comme non binaires représenta­ient 0,09 % de la population totale, soit un peu plus de 6000 individus.

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CATHERINE LEGAULT, ARCHIVES LE DEVOIR « Les personnes ayant déjà présenté une demande de modificati­on à la SAAQ seront […] contactées pour en être informées », a indiqué la société d’État.

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