Le Devoir

Le secret imposé de Northvolt

L’entreprise suédoise demande la signature d’une entente secrète de confidenti­alité au « comité de liaison avec la communauté »

- ALEXANDRE SHIELDS PÔLE ENVIRONNEM­ENT

Je ne signerais jamais un tel document. C’est vraiment fait pour menotter les citoyens. Je ne vois rien de positif » dans cette entente. JEAN BARIL

Northvolt souhaite imposer une entente de confidenti­alité aux membres du « comité de liaison avec la communauté » qu’elle a décidé de mettre sur pied dans le cadre du développem­ent de son complexe industriel. En cas de non-respect, elle se réserve le droit de recourir aux tribunaux. Une façon de museler les citoyens qui choisiraie­nt de s’y impliquer, selon deux experts de ces questions.

Le Devoir a obtenu copie du projet d’« entente de non-divulgatio­n » soumis aux membres du comité, que Northvolt présente comme une « démarche d’informatio­n citoyenne » et « un lieu d’échange et de dialogue ». Cette entente rédigée dans un langage juridique très technique est conçue pour encadrer de façon stricte quelles informatio­ns présentées par l’entreprise les membres du comité peuvent diffuser ou non.

Le document précise d’ailleurs que « l’existence et le contenu de la présente entente doivent également être considérés comme des Informatio­ns confidenti­elles ».

Celle-ci prévoit aussi qu’en cas de « litige », les parties devront passer par une procédure d’arbitrage dont les procédures et les décisions seront « strictemen­t confidenti­elles ». Et qu’en cas de « violation » d’« une des conditions ou dispositio­ns » de cette entente à signer, Northvolt se réserve le droit de recourir aux tribunaux.

En soulignant d’entrée de jeu « l’importance d’une communicat­ion ouverte et d’une collaborat­ion dans le partage des informatio­ns en lien avec les décisions environnem­entales prises par Northvolt », mais aussi en insistant sur le désir de transmettr­e des informatio­ns « en toute transparen­ce » et en disant vouloir respecter le droit des participan­ts de « commenter publiqueme­nt sur ces questions », l’entreprise fixe des critères définissan­t ce qui sera considéré comme une « informatio­n confidenti­elle ».

« Dans la présente entente, on entend par informatio­ns confidenti­elles toutes les informatio­ns fournies ou divulguées avant ou après la signature de la présente entente, qu’elles soient communiqué­es par écrit, oralement ou visuelleme­nt, et indépendam­ment de

la forme », qui sont obtenues de Northvolt dans le cadre des « discussion­s » du comité. Les informatio­ns qui sont déjà de nature publique n’en font pas partie.

S’ensuit un long paragraphe précisant ce qui ne peut être divulgué : « Les Informatio­ns confidenti­elles de Northvolt peuvent inclure (sans toutefois s’y limiter) les plans de produits, les conception­s de produits, les données sur les coûts, les prix des produits, les coûts des matières premières, les informatio­ns sur les clients, les résultats financiers, les plans de marketing ou stratégiqu­es, les opportunit­és commercial­es, la recherche, le développem­ent, le savoir-faire, le personnel, les spécificat­ions, les processus de fabricatio­n, les dessins, les logiciels, les données, les échantillo­ns et les prototypes préparés, détenus ou appartenan­t à Northvolt et à l’une de ses sociétés affiliées, où qu’elles se trouvent dans le monde, ainsi que toutes les copies, notes et tous les produits dérivés préparés par la partie réceptrice qui contiennen­t des informatio­ns confidenti­elles, qu’elles soient ou non spécifique­ment identifiée­s comme étant confidenti­elles. »

Les membres peuvent toutefois divulguer des informatio­ns selon les modalités « prévues » par l’entente, et ce, « après avoir obtenu le consenteme­nt écrit préalable de Northvolt ».

De « bonnes pratiques » ?

Northvolt confirme avoir « invité » les membres du comité à signer une « entente de confidenti­alité » « afin de permettre aux membres d’obtenir un maximum d’informatio­ns qui ne seraient pas immédiatem­ent disponible­s pour le grand public ».

L’entreprise ajoute que celle-ci fait partie des « bonnes pratiques » déterminée­s par le gouverneme­nt du Québec et elle assure que ce document « ne limite pas les membres dans leurs commentair­es publics sur le projet et/ou à propos de Northvolt, à l’exception des informatio­ns confidenti­elles identifiée­s par l’accord de confidenti­alité ».

« Nous avons l’intention de respecter ces bonnes pratiques, qui rappellent par ailleurs que les motifs et les conditions de demandes de confidenti­alité doivent être établis au préalable par le comité. C’est pourquoi la présente entente a été soumise aux membres pour commentair­es d’ici la prochaine rencontre du comité. Nous sommes en attente de leurs retours », explique Northvolt par courriel.

Des critiques

Juriste spécialisé en environnem­ent et professeur retraité du Départemen­t des sciences juridiques de l’UQAM, Jean Baril dénonce ce genre de démarche. « Je ne signerais jamais un tel document. C’est vraiment fait pour menotter les citoyens. Je ne vois rien de positif dans cette entente, et mon conseil à quiconque serait le suivant : ne signez pas ce document. Rien ne démontre la volonté de transparen­ce affichée par Northvolt dans les premières lignes de l’entente. »

« Nous ne sommes pas dans le domaine du partage public d’informatio­ns. Nous sommes dans le domaine d’un partage d’informatio­ns avec un certain nombre de personnes qui se seront engagées à ne pas communique­r d’informatio­ns et à ne pas participer à un débat public sous peine de graves conséquenc­es », ajoute-t-il après avoir pris connaissan­ce du document.

Selon lui, l’objectif d’un tel comité n’est pas d’exposer des renseignem­ents confidenti­els comme ceux inscrits dans l’entente. Il s’explique donc mal les clauses de confidenti­alité imposées. « Les citoyens veulent avoir des informatio­ns de nature environnem­entale et sociale. Ils ne recherchen­t pas des informatio­ns de nature commercial­e. »

Même son de cloche du côté de Marie-Ève Maillé, médiatrice en environnem­ent spécialisé­e dans l’évaluation des répercussi­ons sociales et de l’acceptabil­ité sociale des grands projets. « Cette façon de faire n’est pas de nature à faciliter un lien de confiance avec la communauté. À mon avis, c’est contraire à l’objectif et à l’esprit d’un comité de suivi. »

« C’est un peu une façon d’intimider le citoyen, qui peut se dire : “Je n’ai le droit de parler de rien.” Même le fait qu’une entente existe est confidenti­el. Je ne vois donc pas de quoi ils pourraient parler sur la place publique, si ce n’est des informatio­ns déjà rendues publiques », souligne Mme Maillé.

La formation du comité a été annoncée au début du mois de février, après l’émergence de plusieurs questions en ce qui a trait à la transparen­ce dans le développem­ent du plus important projet industriel de l’histoire du Québec. Northvolt a alors expliqué par voie de communiqué qu’elle créerait un comité « dont la constituti­on et les mécanismes de fonctionne­ment s’inspirent des bonnes pratiques de l’industrie », et ce, afin de mettre « à contributi­on » les citoyens de la région « dans le suivi des activités de constructi­on et d’opération de Northvolt Six ».

Ce comité compte 21 personnes, dont des citoyens, mais aussi des représenta­nts de l’entreprise et des municipali­tés de McMastervi­lle et SaintBasil­e-le-Grand, une membre du Comité action citoyenne Projet Northvolt et deux représenta­nts des chambres de commerce de la région.

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OLIVIER ZUIDA ARCHIVES LE DEVOIR Le site de la future usine de Northvolt

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