Le secret imposé de Northvolt
L’entreprise suédoise demande la signature d’une entente secrète de confidentialité au « comité de liaison avec la communauté »
Je ne signerais jamais un tel document. C’est vraiment fait pour menotter les citoyens. Je ne vois rien de positif » dans cette entente. JEAN BARIL
Northvolt souhaite imposer une entente de confidentialité aux membres du « comité de liaison avec la communauté » qu’elle a décidé de mettre sur pied dans le cadre du développement de son complexe industriel. En cas de non-respect, elle se réserve le droit de recourir aux tribunaux. Une façon de museler les citoyens qui choisiraient de s’y impliquer, selon deux experts de ces questions.
Le Devoir a obtenu copie du projet d’« entente de non-divulgation » soumis aux membres du comité, que Northvolt présente comme une « démarche d’information citoyenne » et « un lieu d’échange et de dialogue ». Cette entente rédigée dans un langage juridique très technique est conçue pour encadrer de façon stricte quelles informations présentées par l’entreprise les membres du comité peuvent diffuser ou non.
Le document précise d’ailleurs que « l’existence et le contenu de la présente entente doivent également être considérés comme des Informations confidentielles ».
Celle-ci prévoit aussi qu’en cas de « litige », les parties devront passer par une procédure d’arbitrage dont les procédures et les décisions seront « strictement confidentielles ». Et qu’en cas de « violation » d’« une des conditions ou dispositions » de cette entente à signer, Northvolt se réserve le droit de recourir aux tribunaux.
En soulignant d’entrée de jeu « l’importance d’une communication ouverte et d’une collaboration dans le partage des informations en lien avec les décisions environnementales prises par Northvolt », mais aussi en insistant sur le désir de transmettre des informations « en toute transparence » et en disant vouloir respecter le droit des participants de « commenter publiquement sur ces questions », l’entreprise fixe des critères définissant ce qui sera considéré comme une « information confidentielle ».
« Dans la présente entente, on entend par informations confidentielles toutes les informations fournies ou divulguées avant ou après la signature de la présente entente, qu’elles soient communiquées par écrit, oralement ou visuellement, et indépendamment de
la forme », qui sont obtenues de Northvolt dans le cadre des « discussions » du comité. Les informations qui sont déjà de nature publique n’en font pas partie.
S’ensuit un long paragraphe précisant ce qui ne peut être divulgué : « Les Informations confidentielles de Northvolt peuvent inclure (sans toutefois s’y limiter) les plans de produits, les conceptions de produits, les données sur les coûts, les prix des produits, les coûts des matières premières, les informations sur les clients, les résultats financiers, les plans de marketing ou stratégiques, les opportunités commerciales, la recherche, le développement, le savoir-faire, le personnel, les spécifications, les processus de fabrication, les dessins, les logiciels, les données, les échantillons et les prototypes préparés, détenus ou appartenant à Northvolt et à l’une de ses sociétés affiliées, où qu’elles se trouvent dans le monde, ainsi que toutes les copies, notes et tous les produits dérivés préparés par la partie réceptrice qui contiennent des informations confidentielles, qu’elles soient ou non spécifiquement identifiées comme étant confidentielles. »
Les membres peuvent toutefois divulguer des informations selon les modalités « prévues » par l’entente, et ce, « après avoir obtenu le consentement écrit préalable de Northvolt ».
De « bonnes pratiques » ?
Northvolt confirme avoir « invité » les membres du comité à signer une « entente de confidentialité » « afin de permettre aux membres d’obtenir un maximum d’informations qui ne seraient pas immédiatement disponibles pour le grand public ».
L’entreprise ajoute que celle-ci fait partie des « bonnes pratiques » déterminées par le gouvernement du Québec et elle assure que ce document « ne limite pas les membres dans leurs commentaires publics sur le projet et/ou à propos de Northvolt, à l’exception des informations confidentielles identifiées par l’accord de confidentialité ».
« Nous avons l’intention de respecter ces bonnes pratiques, qui rappellent par ailleurs que les motifs et les conditions de demandes de confidentialité doivent être établis au préalable par le comité. C’est pourquoi la présente entente a été soumise aux membres pour commentaires d’ici la prochaine rencontre du comité. Nous sommes en attente de leurs retours », explique Northvolt par courriel.
Des critiques
Juriste spécialisé en environnement et professeur retraité du Département des sciences juridiques de l’UQAM, Jean Baril dénonce ce genre de démarche. « Je ne signerais jamais un tel document. C’est vraiment fait pour menotter les citoyens. Je ne vois rien de positif dans cette entente, et mon conseil à quiconque serait le suivant : ne signez pas ce document. Rien ne démontre la volonté de transparence affichée par Northvolt dans les premières lignes de l’entente. »
« Nous ne sommes pas dans le domaine du partage public d’informations. Nous sommes dans le domaine d’un partage d’informations avec un certain nombre de personnes qui se seront engagées à ne pas communiquer d’informations et à ne pas participer à un débat public sous peine de graves conséquences », ajoute-t-il après avoir pris connaissance du document.
Selon lui, l’objectif d’un tel comité n’est pas d’exposer des renseignements confidentiels comme ceux inscrits dans l’entente. Il s’explique donc mal les clauses de confidentialité imposées. « Les citoyens veulent avoir des informations de nature environnementale et sociale. Ils ne recherchent pas des informations de nature commerciale. »
Même son de cloche du côté de Marie-Ève Maillé, médiatrice en environnement spécialisée dans l’évaluation des répercussions sociales et de l’acceptabilité sociale des grands projets. « Cette façon de faire n’est pas de nature à faciliter un lien de confiance avec la communauté. À mon avis, c’est contraire à l’objectif et à l’esprit d’un comité de suivi. »
« C’est un peu une façon d’intimider le citoyen, qui peut se dire : “Je n’ai le droit de parler de rien.” Même le fait qu’une entente existe est confidentiel. Je ne vois donc pas de quoi ils pourraient parler sur la place publique, si ce n’est des informations déjà rendues publiques », souligne Mme Maillé.
La formation du comité a été annoncée au début du mois de février, après l’émergence de plusieurs questions en ce qui a trait à la transparence dans le développement du plus important projet industriel de l’histoire du Québec. Northvolt a alors expliqué par voie de communiqué qu’elle créerait un comité « dont la constitution et les mécanismes de fonctionnement s’inspirent des bonnes pratiques de l’industrie », et ce, afin de mettre « à contribution » les citoyens de la région « dans le suivi des activités de construction et d’opération de Northvolt Six ».
Ce comité compte 21 personnes, dont des citoyens, mais aussi des représentants de l’entreprise et des municipalités de McMasterville et SaintBasile-le-Grand, une membre du Comité action citoyenne Projet Northvolt et deux représentants des chambres de commerce de la région.