Le Devoir

Guilbeault ne veut pas forcément un plafond sur la production de plastique

La question divise les États réunis à Ottawa pour en négocier les termes d’un traité mondial

- SANDRINE VIEIRA CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA LE DEVOIR

Contrairem­ent à ce qui avait été rapporté dans les médias, le ministre fédéral de l’Environnem­ent, Steven Guilbeault, ne croit pas que le traité mondial pour mettre fin aux déchets plastiques doit nécessaire­ment inclure un plafond à la production.

« Je ne suis pas contre l’idée d’un plafond, mais je pense qu’on n’est pas rendus là encore », spécifie-t-il en entrevue au Devoir jeudi.

Plus tôt cette semaine, des médias avaient rapporté que le ministre souhaitait voir un plafond sur la production dans le futur traité internatio­nal contre la pollution plastique. Cette question divise les États actuelleme­nt réunis à Ottawa pour en négocier les termes.

Un plafond sur la production de plastique est le principal point de discorde dans la salle de négociatio­ns : pour de nombreuses organisati­ons environnem­entales, la seule façon de résoudre la crise du plastique est de réduire la quantité produite à la source, tandis que d’autres pays veulent plutôt promouvoir de meilleures pratiques de recyclage.

Le ministre Guilbeault affirme que ses propos ont été mal interprété­s lorsqu’il s’est adressé aux journalist­es en marge des négociatio­ns.

« On m’a demandé si c’était possible d’avoir un traité au rabais pour [être assurés] d’avoir un traité, et si c’était possible d’avoir un traité sans plafond. J’ai répondu que non, on avait besoin d’un traité ambitieux. Tout le monde a conclu que je disais que ça prenait un plafond », explique-t-il.

Reste que le Canada « n’est pas contre » cette avenue. « Si c’est le consensus de l’ensemble des pays, on va se rallier. Mais je pense que cette idée-là peut paraître simple en théorie, mais excessivem­ent complexe en pratique », prévient le ministre.

Un plafonneme­nt de la production plastique ne ferait pas la distinctio­n entre les plastiques dommageabl­es pour l’environnem­ent et la santé, et ceux qui le sont moins. La juridictio­n des provinces quant à l’utilisatio­n de ressources naturelles compliquer­ait aussi la mise en oeuvre d’un plafond à l’échelle canadienne, explique-t-il.

« Je ne suis pas certain qu’on soit rendus à cette étape-là. Il y a beaucoup d’autres choses qu’on peut faire d’ici la fin de l’année pour avoir un traité ambitieux », argue le député de Laurier–Sainte-Marie.

Ottawa a déjà annoncé le lancement d’un registre fédéral sur les plastiques qui obligera les producteur­s de produits de plastique à déclarer les types et les quantités de plastique qui entrent sur le marché.

Ce registre ne permettra pas de réduire la consommati­on plastique, convient M. Guilbeault, mais ce dernier croit fermement qu’il fournira les informatio­ns nécessaire­s pour mieux combattre la pollution.

Des compromis pour avancer

En novembre dernier, les négociatio­ns avaient été prises dans une impasse à Nairobi, au Kenya, où des pays étaient fortement en désaccord sur les termes relatifs aux limites de production des plastiques.

Alors que le temps presse pour conclure une entente d’ici la fin de l’année, plusieurs groupes espèrent que les tactiques de retardemen­t et d’obstructio­n de certains États ne feront pas dérailler l’actuelle ronde de négociatio­ns.

Même si les positions clivantes représente­nt toujours un défi, Steven Guilbeault a bon espoir que les négociatio­ns se déroulent plus rondement cette foisci. « À Nairobi, les Kényans ont produit un premier texte de négociatio­n qui, de l’avis de certains, ne reflétait pas les différente­s positions qui avaient été énumérées. Ç’a créé un certain ressac. »

Le projet de texte de l’accord est alors passé de 35 pages à plus de 70 pour représente­r tous les points de vue des délégation­s. Si plusieurs organisati­ons écologiste­s y ont vu un recul important, le ministre Guilbeault estime que cela facilitera les négociatio­ns en cours à Ottawa — car être trop « intransige­ant » dès le départ aurait pu mener à un échec hâtif des négociatio­ns.

« Le fait que les pays qui étaient plus réfractair­es ont vu que leurs idées avaient été mises de l’avant dans le texte, au même titre que les autres, ça nous permet maintenant de commencer à faire de l’élagage et à négocier, parce qu’ils sont plus prêts à avancer. »

Le ministre Guilbeault espère qu’environ 70 % du texte du traité sera finalisé d’ici la fin des négociatio­ns à Ottawa, pour ensuite en arriver à la conclusion d’un accord lors de la cinquième et dernière ronde de négociatio­ns, prévue en Corée du Sud en novembre.

« Le recyclage n’est pas la solution »

Alors que certains pays espèrent un traité qui miserait essentiell­ement sur la gestion du plastique, l’ancien militant écologiste est catégoriqu­e : la solution à la crise du plastique ne peut passer que par le recyclage. Officielle­ment, Ottawa est favorable à un texte qui privilégie­ra l’économie circulaire.

« Il faut que les plastiques que nous utilisons, et que nous allons continuer à utiliser, restent dans l’économie, et qu’on se dirige vers une économie circulaire. Il faut des solutions à toutes les étapes », soutient Steven Guilbeault.

Les emballages en plastique et les plastiques à usage unique représente­nt plus de 50 % de tous les déchets plastiques produits au Canada, mais moins de 14 % sont recyclés.

La Russie, la Chine et l’Arabie saoudite ont été critiquées à plusieurs reprises pour avoir ralenti les négociatio­ns au cours des dernières sessions. Mais plusieurs organisati­ons accusent aussi les États-Unis, le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, de ne pas avoir été proactifs dans les pourparler­s.

« On est peut-être moins alignés sur nos voisins du Sud qu’on est souvent dans d’autres dossiers, admet le ministre. Cela étant dit, on a d’excellente­s relations avec la délégation américaine. Je suis en contact avec des gens à la Maison-Blanche. Je n’ai pas d’inquiétude­s quant à la position des États-Unis dans ces négociatio­ns-là. »

Les négociatio­ns sur le traité à Ottawa ont débuté mardi et dureront sept jours.

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JUSTIN TANG LA PRESSE CANADIENNE « Je ne suis pas contre l’idée d’un plafond, mais je pense qu’on n’est pas rendus là encore », dit le ministre Steven Guilbeault.

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