Le Devoir

En français, s’il vous plaît

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Àla faveur d’une nouvelle étude publiée par l’Office québécois de la langue française (OQLF), le Québec se gratte de nouveau le « Bonjour-Hi » en se demandant si le français va bien ou mal. C’est devenu un refrain connu, et chaque fois il met en scène les deux mêmes fameux camps, qui surfent sur des données identiques pour arriver à des constats opposés : alors que tout va bien pour les uns, il y a danger pour les autres. Au risque de passer pour des rabat-joie ou de sombres défaitiste­s, nous sommes dans le camp des inquiets, pour qui le déclin du français se confirme doucement, tranquille­ment, au fil du temps qui passe. La langue française est une affaire de statistiqu­es, et on peut l’ausculter sous divers angles mathématiq­ues. Mais si ces mêmes chiffres réussissen­t à provoquer des réactions inverses, c’est bien que la langue est d’abord et avant tout affaire de coeur. Quand on a eu mal à sa langue en la voyant plusieurs fois malmenée au gré de l’Histoire, on ne peut pas baisser la garde.

L’OQLF publie une étude après l’autre. La dernière en date, Langue d’accueil et langue de service dans les commerces du Québec en 2023, fait suite à deux coups de sonde à la facture similaire effectués en 2010 et en 2017. À l’aide d’observateu­rs chargés de visiter des commerces dans quelques villes du Québec, l’organisme voulait valider le respect de la Charte de la langue française dans les entreprise­s. L’article 5 de la Charte stipule que « les consommate­urs de biens ou de services ont le droit d’être informés et servis en français ». En entrant dans les quelque 7300 commerces visés par l’exercice, les observateu­rs devaient relever dans quelle langue on les accueillai­t — Bonjour, Hi, Bonjour-Hi — et on les servait.

Pour ce qui est de la langue d’accueil, le constat est éloquent. Entre 2010 et 2023, l’usage du français a perdu 13 points de pourcentag­e dans les commerces de l’île de Montréal (passant de 84,2 % en 2010 à 74,6 % en 2017 et à 71 % en 2023). Pendant ce temps, l’anglais grignotait 5 points de pourcentag­e de plus ; l’accueil bilingue, 8 points. Le recours au « Bonjour-Hi », que certains associent beaucoup trop simplement à une marque élémentair­e de courtoisie, continue donc de gagner du terrain.

Or, Montréal n’est pas une ville bilingue. Le premier article de sa charte énonce on ne peut plus clairement que c’est une « ville de langue française ». Pourquoi alors s’astreindre à un bilinguism­e d’accueil qui ne correspond pas le moins du monde à ce que la ville aspire à demeurer, c’est-à-dire une métropole riche de sa diversité, mais à l’affirmatio­n francophon­e forte ?

On entend d’ici soupirer. Quel mal peut bien faire une politesse bilingue si ensuite la langue de service est presque essentiell­ement en français (le rapport note en effet que, sur l’île de Montréal, seuls 2,6 % des observateu­rs envoyés par l’OQLF n’ont pas pu être servis en français) ? Un mal aussi insidieux que néfaste, car non seulement cette pratique brise-t-elle l’esprit des lois, elle contribue en plus à dépeindre Montréal comme une ville bilingue dès l’entrée, peu importe qui on est — touriste, résident francophon­e, allophone ou anglophone. L’OQLF note d’ailleurs une progressio­n des plaintes sur la langue de service d’année en année.

Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, ne se réjouit pas lui non plus de ces résultats, qui montrent que le français n’a pas la vigueur espérée. Un plan d’action sur la langue française, dont les grandes lignes ont été dévoilées dans La Presse cette semaine, sera présenté incessamme­nt. M. Roberge se défend de vouloir servir du réchauffé, comme on l’a laissé entendre, mais si la Coalition avenir Québec (CAQ) veut freiner le déclin du français, comme elle dit être en mesure de le faire, les actions devront être vigoureuse­s et cibler les génération­s à venir.

Sur ce seul et unique front, il y a fort à faire, car les jeunes n’ont pas mal à leur langue comme les plus expériment­és, pour le dire avec des égards, en souffrent. Pour ces jeunes-là, qui conversent en bande d’amis francophon­es en empruntant ici et là à d’autres idiomes (dont l’anglais), l’accueil bilingue à Montréal n’est que le prolongeme­nt naturel d’une galanterie linguistiq­ue consentie à Montréal, au Québec, parcelle de l’échiquier mondial. Rien de bien plus grave que cela. Nous sommes des citoyens du monde !

Mais nous sommes les citoyens d’un sympathiqu­e bastion francophon­e dont les fortificat­ions ont besoin de mortier. Plusieurs actions sont nécessaire­s. La sélection d’immigrants francophon­es contribuer­a évidemment à freiner la chute du français, et il faudra s’assurer aussi que soient levés les nombreux obstacles placés sur la route des immigrants temporaire­s dans l’apprentiss­age du français.

Pour un français digne de ce qu’il est comme socle identitair­e et culturel, les écoles et les milieux culturels québécois devraient pouvoir établir un maillage permanent afin d’offrir un foisonneme­nt d’activités culturelle­s en français. L’éducation et la culture ont beaucoup à offrir pour maintenir en vie ou faire fleurir la fierté d’une langue comme le français.

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