Le Devoir

Think big ’sti ! ou quand le gros a toujours la cote

La déclaratio­n de Bob Gratton date de plus de 40 ans ; tout porte à croire qu’elle est toujours d’actualité

- Steeve Duguay L’auteur est intervenan­t communauta­ire auprès d’usagers du réseau de la santé et des services sociaux.

Think big ’sti ! Qui ne se souvient pas de cette déclaratio­n de Bob « Elvis » Gratton, personnage coloré, joué avec brio par Julien Poulin, créé et réalisé par Pierre Falardeau, en 1985 ? Une scène d’anthologie dans ce film qui tenait à dénoncer la soumission du peuple québécois à la culture américaine. Pour Gratton, tout doit être gros. Il vit dans une grosse maison et conduit un gros véhicule. Gratton lui-même est plutôt bien enrobé, adipeux. La grosseur, dans le film de Falardeau, est une représenta­tion de l’abondance, de la prospérité et de la réussite.

L’an dernier, la sociologue Dahlia Namian a publié, chez Lux Éditeur, La société de provocatio­n. Essai sur l’obscénité des riches. L’ouvrage de la sociologue traite de l’exhibition­nisme totalement décomplexé des ultrariche­s dans notre société. Un essai bien intéressan­t que je vous invite à lire.

Oui, les mieux nantis de notre société n’hésitent pas à exhiber leur prospérité, leur réussite par le biais de leurs avoirs, de leurs possession­s. Cette illustrati­on de la prospérité, chez les biens nantis, se veut ostentatoi­re et très souvent obscène. Elle a pour but de tracer une très nette démarcatio­n entre le riche, celui qui a réussi, et le commun des mortels. Mais qu’en est-il de la représenta­tion de la réussite chez les gens faisant partie de ce que l’on appelle, avec plus ou moins de justesse, la classe moyenne ?

Je suis amateur de motocyclet­tes. Du mois d’avril au mois de novembre, c’est d’ailleurs mon principal mode de locomotion. J’utilise ma moto principale­ment pour me rendre au boulot. J’éprouve un véritable plaisir à conduire cette dernière sur les petits chemins de campagne menant à mon bureau. Pour moi, la conduite d’une motocyclet­te est un acte quasi méditatif. La conduite de ma moto est aussi un moyen de réduire mon empreinte environnem­entale. C’est un moyen de transport qui consomme très peu d’essence et produit peu d’émissions.

L’année dernière, j’ai décidé de changer ma motocyclet­te vieillissa­nte (une « vintage » construite en 2000) pour une nouvelle monture. Je recherchai­s un modèle économique ayant un moteur de faible cylindré. Rapidement, en consultant les sites des constructe­urs de motocyclet­tes, j’ai constaté que les fabricants offraient des modèles de plus en plus gros, ostentatoi­res et dotés d’une motorisati­on de plus en plus imposante. En bref, outre les scooters, il n’existe pratiqueme­nt plus de petites motos sur le marché nordaméric­ain.

J’ai eu la chance de voyager. Dans la majorité des pays que j’ai visités, la motocyclet­te est, avec l’âne et le vélo, le véhicule des moins nantis, des pauvres. Elle permet de se déplacer à faible coût. Dans nombre de ces pays, les motocyclis­tes se déplacent sur des montures chinoises, légères et ayant de très petits moteurs. Ce n’est pas le cas au Québec.

Il y a de cela quelques mois, ma conjointe a décidé de changer sa voiture. Elle possédait une voiture souscompac­te, construite en 2007. Nous avons constaté que les sous-compactes sont pratiqueme­nt absentes des catalogues des fabricants. Même les voitures compactes semblent avoir disparu de ces catalogues. Nous sommes à l’ère des véhicules utilitaire­s sport (VUS) et des camions de style pick-up ! Des véhicules de plus en plus gros et dotés d’une multitude de gadgets électroniq­ues ayant davantage pour but de gonfler la facture que d’apporter un véritable agrément de conduite.

Montrer au monde qu’ils existent

Je vois de plus en plus de gros véhicules sur les routes du Québec. Étrangemen­t, la hausse du prix de l’essence ne semble pas vouloir freiner ce phénomène d’accroissem­ent de la taille des véhicules. Pourquoi donc ? Ne sommes-nous pas conscienti­sés quant aux impacts environnem­entaux que provoque la surconsomm­ation d’énergies fossiles ? Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

L’accroissem­ent de la taille des biens est aussi observable dans le secteur de l’immobilier. Les maisons sont de plus en plus grandes, de plus en plus spacieuses et luxueuses. Alors que nous vivons une crise du logement sans précédent, les nouvelles constructi­ons domiciliai­res semblent conçues pour de très grandes familles. Pourtant, les familles sont de moins en moins grandes au Québec. Qu’est-ce qui explique ce fait ?

L’humain tend, par sa nature, à fréquemmen­t vouloir s’élever au-dessus de la mêlée. Certains par les idées, les actions, d’autres par leurs avoirs. Pour une grande partie de la population, la représenta­tion de soi s’opère par le reflet de l’autre. La réussite sociale s’exhibe par la grosseur des biens possédés. J’ai d’ailleurs en tête l’image d’un maire d’une petite municipali­té qui conduit un gros VUS de luxe ayant une plaque minéralogi­que personnali­sée portant ses initiales… Il tient sûrement à être reconnu !

La déclaratio­n de Bob Gratton date de plus de 40 ans. Tout porte à croire qu’elle est toujours d’actualité. Gratton ne faisait pas partie des ultrariche­s de notre société. Il représenta­it la « classe moyenne » de la société québécoise. Cette classe dont plusieurs membres préconisai­ent, et préconisen­t toujours, l’exhibition de leurs biens et de la grosseur de ces derniers pour montrer au monde qu’ils ont réussi. Pour montrer au monde qu’ils existent.

Think big ’sti !

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