P’tit Belliveau dans l’allée de l’honnêteté
L’artiste acadien lance un disque éclaté, libre de plusieurs contraintes
« Monique : 232 ! » hurle le haut-parleur du salon de quilles, interrompant l’élan — vocal — de Jonah Guimond, alias P’tit Belliveau. Il faut le dire : c’est lui qui a choisi d’inviter la presse dans ce local étonnamment achalandé plutôt que dans un classique café pour discuter de son troisième album complet. Ce n’est pas parce qu’il y joue vraiment, mais on peut faire des liens : ce disque comprend des titres efficaces comme le parcours d’une boule qui roule à toute vitesse sur le bois huilé, et des influences musicales qui partent dans tous les sens comme les quilles après un abat. Et, chose certaine, P’tit Belliveau y emprunte de pleins de façons l’allée de l’honnêteté.
Sur ces 39 minutes divisées en 12 chansons, il s’est écouté. C’est un peu pourquoi le Néo-Écossais installé dans la baie Sainte-Marie a attendu ce troisième disque pour lui donner son nom : P’tit Belliveau. Pour se trouver, le polyvalent créateur a eu d’abord besoin de son Greatest Hits Vol. 1 en 2020, puis d’Un homme et son piano en 2022 — sans oublier un interlude sous la forme d’un mini-album de reprises d’une star acadienne du country, Baptiste Comeau.
« Même aujourd’hui, c’est pas super vieux comme projet, explique le musicien de 28 ans dans son parler acadien.
Ma carrière comme compositeur de paroles, c’est encore nouveau. C’est un apprentissage. Puis maintenant, j’ai beaucoup appris à propos de moi-même. Puis comment est-ce que je vais écrire, qu’est-ce que je suis capable de faire ? Tout ça pour dire que je me sens comme si je peux être plus libre. J’ai besoin de moins de contraintes, puis c’est vraiment amusant de travailler comme ça. »
Moins de contraintes auto-imposées, donc. Et ça paraît sur ces nouvelles chansons, lancées de manière indépendante et qui sont plus éclectiques que jamais. « Y a quand même plein de country dedans, mais je m’ai permis d’ouvrir la coquille un peu plus, puis d’insérer beaucoup de styles, admet-il. La musique comme medium, ça me fascine, les textures, les sons. De la musique noise, désorganisée, juste quasiment pas écoutable, jusqu’à de la musique pop, [à la] Dua Lipa, puis tout in between, j’aime tout, tout, tout. »
Il y a d’ailleurs un peu de tout dans ce buffet musical. Il y a du rap-pop sur la très radiophonique Comfy avec FouKi, du punk des années 1990 sur Ring ring, des lignes de synthétiseur kitsch un peu partout. Ici et là, P’tit Belliveau sort même ses guitares métal — la pochette du disque est même enluminée de son nom sous forme d’un logo typique des groupes de ce genre.
« C’est juste une honnêteté que j’ai par rapport à tout’ [ces styles-là] », dit celui qui a presque tout fait seul en
studio. Cette palette de sons fait partie de son monde et il a moins peur d’en insuffler les couleurs dans sa création. « Je suis quand même capable, honnêtement, d’accepter que c’est weird. But again, c’est point ça mon but. »
Il revendique aussi le droit d’être multiple dans ce qu’il raconte : P’tit Belliveau chante aussi bien son amour des camions (Gros truck) que de touchants souvenirs familiaux (L’église de St. Bernard). Et il estime que faire ainsi n’est que se montrer plus vrai, voire « nu » devant son auditoire.
« Je trouve dommage ces “normes” de la musique au Québec où il faut souvent soit être sérieux, soit drôle, mais pas les deux. Les artistes se limitent dans ça. Y a personne qui est juste sérieux, puis y a personne qui est juste drôle, on est les deux. Moi, je veux explorer l’humanité en général, puis essayer de peinturer des portraits de ma vie qui peuvent s’appliquer à ta vie. Et puis, si je veux faire ça d’une façon honnête, d’une façon complète, il faut que j’explore tous ces côtés-là. » Rendu là dans cette discussion sans dalot, c’est le concept même du disque qui est mis à mal par P’tit Belliveau — le disque pensé comme un tout cohérent, aux ambiances liées par un certain fil.
« C’est juste point quelque chose qui m’excite that much anymore, assure-t-il. [Cet album] c’est une playlist, quasiment, comme des singles assemblés. Y a quelque chose de romantique dans le fait de créer une oeuvre, mais pour moi, c’est rendu qu’une oeuvre, c’est une chanson, puis j’y mets beaucoup d’amour, puis de temps de réalisation et de production. »
Reste qu’au centre de ce disque se trouvent trois morceaux liés par le thème des grenouilles — ce qui explique la pochette ! Rien à voir avec les « frogs » québécois, assure P’tit Belliveau, qui explique ce choix par son simple amour des batraciens qui peuplent son terrain et le marécage qui s’y trouve — et qui ne sont pas stressés par le monde « fou » dans lequel l’humain évolue.
« Elles ont juste l’air dumb, silly, puis slimy, puis je les aime. Elles s’amusent dans la boue. C’est comme mes amies, dit le végétarien. [En ce moment] on voit les oeufs de grenouilles, puis dans deux semaines ça va être des têtards. Puis à la fin de l’été, ce sera de grosses grenouilles. Tu vois toute leur vie chaque année. À l’école, c’est une des premières choses en science qu’on apprend et qui nous marque. Ouais, c’est le début de notre carrière d’être fasciné par la vie. » On l’appuie sans réserve.