Le Devoir

Apparence de conflit d’intérêts pour un prix artistique de 120 000 $

Le lauréat d’un concours à Saint-Hyacinthe a des liens d’affaires avec une firme associée au projet

- MARCO FORTIER

Un concours visant à doter une bibliothèq­ue de Saint-Hyacinthe d’une oeuvre d’art numérique soulève la controvers­e. L’artiste ayant remporté le prix de 120 000 $ est un « collaborat­eur de longue date » de l’entreprise cadabra, une des partenaire­s principale­s du projet. Or les personnes ayant un lien d’emploi avec la firme n’étaient pas admissible­s au concours.

L’artiste multidisci­plinaire Étienne Paquette, qui a une longue feuille de route dans les arts numériques, a remporté ce prix convoité. Artiste indépendan­t, il a été décrit comme un « membre de l’équipe cadabra », notamment en tant que directeur de création, sur plusieurs publicatio­ns et projets de l’entreprise — sur Instagram, LinkedIn, Facebook, X et d’autres plateforme­s — au cours des dernières années.

Un spectacle « d’expérience immersive » au parlement canadien, présenté à compter du 17 août 2023, décrit aussi Étienne Paquette comme un « directeur, scénariste et designer » chez XYZ Technologi­es inc. et sa filiale cadabra.

Règles claires

Les règles du concours, publiées le 7 juillet 2023, sont pourtant claires : « Les personnes ayant un lien d’emploi avec l’une ou l’autre de ces institutio­ns, soit : la Ville de Saint-Hyacinthe, la firme cadabra, les Bibliothèq­ues publiques de Saint-Hyacinthe et le Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe, qu’elles aient un statut permanent, occasionne­l ou auxiliaire, ne sont pas admissible­s au concours. »

La Ville de Saint-Hyacinthe indique être « bien au fait que M. Paquette avait collaboré avec la firme XYZ inc. (cadabra) par le passé, et ce, dès le début du processus de sélection ».

« Nous avons donc effectué plusieurs vérificati­ons concernant la nature de ces précédente­s relations d’affaires. Il appert que M. Paquette est un artiste indépendan­t qui n’a jamais eu de lien d’emploi formel avec XYZ inc., bien qu’il ait travaillé avec cette dernière par le passé à titre de sous-traitant. Le jury a donc statué qu’il était admissible au concours », précise dans un courriel Lyne Arcand, directrice des communicat­ions de la Ville.

Le lauréat Étienne Paquette a confirmé au Devoir qu’il avait informé la Ville de ses liens avec XYZ Technologi­es et cadabra pour « éviter tout malentendu, parce que je voulais être certain d’agir en tout respect des règles ». Il assure n’avoir eu accès à aucune informatio­n privilégié­e. L’artiste travaille à son compte et indique n’avoir jamais été salarié des entreprise­s associées au projet de Saint-Hyacinthe.

Un chantier ambitieux

Cette oeuvre sera la première d’un parcours artistique ambitieux, au coût estimé de 576 000 $, visant à célébrer le 275e anniversai­re de fondation de Saint-Hyacinthe.

Une série de silos lumineux seront aménagés le long du « pôle culturel » regroupant la bibliothèq­ue T.-A.-StGermain, le Centre des arts JulietteLa­ssonde, le Musée d’art et société (Expression) et le Centre d’histoire de Saint-Hyacinthe.

La firme XYZ Technologu­es et sa filiale cadabra ont été choisies dès le départ pour coordonner ce vaste chantier mettant en valeur l’histoire de la ville. Selon les chiffres obtenus par Le Devoir, l’entreprise a obtenu 245 000 $ pour élaborer le concept, ainsi que pour fournir les équipement­s et la programmat­ion des technologi­es.

Il faut ajouter à cela le contrat de 120 000 $ (plus 30 000 $ pour des imprévus) remporté par Étienne Paquette, collaborat­eur de longue date de la firme multimédia.

Tous les contrats ont été accordés avec l’autorisati­on du conseil municipal et sans appel d’offres public, puisla que la Loi sur les cités et villes prévoit que cette obligation ne s’applique pas aux contrats reliés au domaine artistique ou culturel, précise la porte-parole Lyne Arcand.

Concours « inusité »

L’apparence de conflit d’intérêts entourant le concours pour la réalisatio­n de l’oeuvre numérique fait tiquer Étienne Rochon, connu sous le nom d’artiste d’Arthur Desmarteau­x. Il faisait partie des finalistes du concours. En constatant les liens étroits entre le lauréat Étienne Paquette et la firme cadabra, l’artiste montréalai­s a eu l’impression que les dés étaient pipés.

« On peut se demander si ce concours n’était finalement qu’une façade pour obtenir l’approbatio­n populaire d’un projet déjà décidé en coulisses », fait-il valoir au Devoir.

« J’ai mis beaucoup d’efforts pour monter mon dossier. Ça m’a occupé pendant deux mois au cours de l’automne », ajoute-t-il.

L’artiste multidisci­plinaire estime « inusité » que les participan­ts au concours aient dû se plier à certaines contrainte­s édictées par la firme XYZ Technologi­es. Par exemple, les oeuvres soumises devaient intégrer 420 guirlandes lumineuses munies de 21 000 ampoules, fournies par cadabra.

Étienne Rochon, qui a créé des oeuvres en Corée du Sud, en Australie, au Mexique, en France et en Irlande (en plus du Québec), s’étonne aussi qu’un budget supplément­aire de 30 000 $ pour les imprévus ait été ajouté au projet d’oeuvre ayant remporté le concours — ce qu’il ignorait au moment de soumettre sa propositio­n.

Cette réserve vise à « pallier certains imprévus et à assurer l’intégratio­n de l’oeuvre aux infrastruc­tures existantes, explique la porte-parole de la Ville. Cette contingenc­e avait été prévue avant de lancer le concours et sans égard au choix de l’oeuvre et de l’artiste. »

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