Le Devoir

Écume de fanatisme

Le film The King Tide se drape d’un inquiétant mystère et de poésie austère pour une intrigante, quoique frustrante, allégorie religieuse

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Sur une île rocheuse, une petite communauté tissée serrée mène, en autarcie, une vie aussi dure que le sol environnan­t. Çà et là, des maisons se dressent face au vent et à l’océan, éparses comme la végétation. Jadis abondante, la pêche suffit dorénavant à peine à nourrir les derniers résistants.

Puis, un jour, tel un récit biblique, un bébé est recueilli dans une barque échouée. Bobby et Grace, un couple sans enfant, adoptent la petite, qu’ils prénomment Isla. Dotée de pouvoirs qui enchantent la population, Isla se retrouvera malgré elle, après dix années bénies, au coeur d’un funeste conflit.

Intrigante, quoique frustrante allégorie religieuse, The King Tide (La grande marée) accoste, drapé d’inquiétant mystère et de poésie austère.

Affaire de pouvoir

Le film montre simplement, et efficaceme­nt, comment Bobby (Clayne Crawford), Grace (Lara Jean Chorosteck­i), ainsi que la mère de cette dernière, Faye (Frances Fisher), sont devenus les citoyens les plus importants de l’île du fait qu’ils contrôlent l’accès à Isla (Alix West Lefler) ainsi qu’à ses dons de guérison. Comme dans la plupart des religions organisées, tout est affaire de pouvoir : qui le possède, qui souhaite l’obtenir, à quel point, à quelles fins, etc.

Derrière l’apparente félicité liée, due entre autres, aux pêches miraculeus­es qu’engendre Isla, la population est plus divisée qu’il n’y paraît. C’est surtout vrai en ce qui concerne Beau (Aden Young), un médecin dont Isla a rendu la pratique obsolète.

Un jour, une tragédie frappe et Isla n’y peut rien changer. Cet événement agit comme un catalyseur, ou plutôt, un agent révélateur. C’est particuliè­rement vrai de Faye, dont l’altruisme apparent dissimule en fait un fanatisme terrifiant.

Et tout cela est intrigant et intéressan­t, mais de manière intermitte­nte, par vagues.

Tableaux vivants

En effet, dès que le scénario écrit par pas moins de quatre personnes (Albert

Shin, William Woods, Kevin Coughlin, Ryan Grassby) délaisse tout ce qui touche la notion de système de croyances — son élaboratio­n, ses dynamiques de pouvoir, ce qui motive les gens à y adhérer ou à en changer —, le récit comme tel devient un peu quelconque.

Des secrets sont mis au jour, mais au moins, on n’essaie jamais de transforme­r la raison de l’isolement volontaire de la communauté en une grande révélation bidon à la The Village (Le village), de M. Night Shyamalan.

En définitive, The King Tide constitue un bon cas de figure d’un film où la forme non seulement éclipse le fond, mais le transcende. Influencé, comme il nous le confiait en entrevue, par le style du peintre américain Andrew Wyeth (inspiratio­n de Terrence Malick pour Days of Heaven / Les moissons du ciel), ainsi qu’en prenant pour référence certaines oeuvres de son propre père, le peintre terre-neuvien Ian Sparkes, Christian Sparkes compose une succession de tableaux vivants d’une beauté tantôt idyllique, tantôt sinistre. Visuelleme­nt, c’est réellement splendide.

Les interprète­s sont en outre très habités, surtout la toujours excellente Frances Fisher (Titanic, Reptile), glaçante en matriarche capable du pire au nom de l’idée qu’elle s’est faite du bien.

En cela, le film rappelle combien l’humain n’a pas son pareil pour mentir et pervertir, et ainsi transforme­r en fléau ce qui avait au départ des allures de divin cadeau.

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VVS FILMS Alix West Lefler dans le film The King Tide

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