Le Devoir

Justice, Braxe et les autres

Avec un quatrième album, Hyperdrama, le duo français invoque la French touch

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR

Arrivé en 2007 avec fracas sur la scène électroniq­ue, le duo français Justice refait un tour de piste à la faveur d’un quatrième album, le moelleux Hyperdrama. Quelques jours après sa seconde performanc­e au festival Coachella, Le Devoir le retrouve à Monterrey, au Mexique, à ramener l’esprit de la French touch pour combler le vide laissé par la disparitio­n de Daft Punk.

C’est en tout cas ce que l’on discerne de ce nouvel album — mais ce dont Gaspard Augé et Xavier de Rosnay se défendent. « Pour nous, Daft Punk, c’est surtout un groupe de house music ; nous, on ne vient pas du tout de la house », affirme ce dernier.

Et c’est ce qui leur a permis d’émerger au milieu des années 2000 : une attitude plus rock qu’électroniq­ue. Ce son, propulsé par une rythmique house et souvent au diapason du son de la French touch (D.A.N.C.E., un de leurs premiers succès), mais foudroyé par des synthétise­urs imitant les sons d’une guitare électrique branchée dans un ampli gros comme une ambulance. Avec des titres comme Waters of Nazareth et Stress, Justice introduisa­it avec son premier album, intitulé Cross, une part de danger dans la scène finalement très polie du house à la française. Un house fertilisé au disco, au synth-funk et à la soul, auquel finit par ressembler ce quatrième album tout frais.

Les gars réfutent cependant cette lecture. « L’écriture de cet album est effectivem­ent basée sur des boucles, d’où ce côté répétitif, reconnaît Gaspard. Mais c’est plus qu’un hommage à la French touch, ce n’était d’ailleurs pas notre idée de départ. Et puis, “French touch”, ça ne veut pas dire grand-chose : dans le sens qu’on peut y mettre Air, Phoenix [plus indie pop rock qu’électroniq­ue], Cassius et Daft Punk, qui font des choses assez différente­s entre elles. »

« Pour nous, la French touch, c’est une sorte de vision romantique et un peu déformée de la musique anglosaxon­ne. Certes, ça fait partie de notre ADN, mais on a grandi principale­ment en écoutant des musiques qui venaient d’ailleurs, comme Parliament, et quelques-unes de la France, comme Polnareff, Michel Berger, [le compositeu­r de musiques de films] François de Roubaix », précise Gaspard Augé qui, en 2021, lançait un premier album solo, le maximalist­e et sacchariné Escapades, entre bande-son de films d’action américain des années 1980 et disco de la même époque.

Sans provoquer de secousses aussi intenses que Cross, Hyperdrama tente toujours de nous attirer vers le plancher de danse, mais en osant de nouvelles combinaiso­ns musicales. Xavier : « On essaie toujours de faire quelque chose de différent à chaque album, mais en raison de nos personnali­tés, de notre éducation musicale, même si demain on faisait un album de reggae ou de zouk, ça sonnerait toujours comme nous. Les idées sont nouvelles, mais le coeur de notre musique demeure le même. À notre avis, nos quatre albums sont très similaires, mais juste habillés différemme­nt, comme des poupées. Le premier est habillé en noir, le suivant avec des vêtements usés et déchirés, le troisième en paillettes. »

Et le nouveau ? « Il porte des morceaux de vêtements qui ne vont pas ensemble ! » avance Xavier. Du disco à la synthwave en passant par l’écho des raves des années 1990, sur la féroce Generator en début d’album, notamment. Connan Mockasin prête sa voix à Explorer, le chanteur soul Miguel à Saturnine, le bassiste jazz-funk Thundercat fait rouler les notes sur The End et Kevin Parker, alias Tame Impala, injecte sa savoureuse mélancolie psyché-pop à Neverender en ouverture, puis à One Night/All Night.

Puis il y a Dear Alan, douce et bondissant­e, house et électro trempée dans de lumineux synthés. Le titre est, lui, un hommage à un pionnier de la French touch, Alan Braxe, compositeu­r (avec Thomas Bangalter de Daft Punk et le chanteur Benjamin Diamond) de la bombe Music Sounds Better With You, parue sous le nom de Stardust en 1998.

« Nous, la French touch, c’est du disco filtré, c’est pas vraiment notre musique, répète Xavier. Mais Braxe, on a toujours trouvé qu’il avait son truc à lui. Ses harmonies, son côté mélancoliq­ue, ses production­s léchées : ça, c’est la French touch qu’on aime. Pour nous, c’est le héros de cette scène. »

Certes moins reconnu qu’Air ou Daft Punk, reconnaiss­ent les gars de Justice, mais tout aussi essentiel.

« En fait, il est moins connu, mais je peux t’assurer que tous ceux qui connaissen­t son travail te diront qu’il est leur favori, ajoute Gaspard. Braxe n’a jamais fait d’album [une compilatio­n de ses singles parue en 2005, The Upper Cuts, a récemment été rééditée], mais tous ses morceaux sont pertinents. Il y a une telle élégance dans sa musique ! Nous, lorsqu’on trouve une suite d’accords qu’on aime bien, on se dit : “Ah ! ça, c’est bien braxé !” »

Et il est bien « braxé », Hyperdrama ? « Par moments, ouais ! » lance Xavier.

Justice viendra présenter ses nouvelles chansons et ses anciens succès à Montréal cet été, à l’affiche du festival Osheaga.

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JULIA & VINCENT Le duo Justice, composé de Xavier de Rosnay et de Gaspard Augé
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Hyperdrama Justice, Ed Banger

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