Le Devoir

Visions artistique­s

Avec l’exposition La promesse des astres, Marie-Claude Bouthillie­r nous invite à imaginer le monde grâce au pouvoir de l’art

- NICOLAS MAVRIKAKIS COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Il y a deux semaines, nous vous parlions de l’exposition de Sébastien Cliche — La températur­e de l’informatio­n, au Centre CIRCA jusqu’au 27 avril —, une installati­on qui prenait le prétexte d’une fiction — une sorte de laboratoir­e faisant d’étranges distillati­ons et métamorpho­ses d’informatio­ns macérées — afin de créer une oeuvre d’art originale, évoquant le travail de l’alchimiste.

Marie-Claude Bouthillie­r — qui en 2016, dans une expo elle aussi chez CIRCA, s’était « inspirée du cloître, de la structure des grilles qui en ponctuent les espaces ainsi que des habits des religieuse­s afin de parler de la peinture » et des mystères de la création — présente ces jours-ci, chez Produit Rien, une exposition qui prend comme matériau la notion d’astrologie et, d’une certaine manière, l’idée d’alchimie… L’astrologie s’y révèle le point de départ à une création qui déteindra dans le paysage de ces oeuvres très raisonnabl­es, moralement acceptable­s et souvent autocensur­ées, littéralem­ent engagées et utilitaris­tes, qui s’imposent depuis quelques années en art contempora­in.

Bouthillie­r s’inspire d’André Barbault (1921-2019), tarologue et astrologue psychanaly­tique, ami des surréalist­es — dont André Breton —, qui avaient une passion pour la magie, l’ésotérisme, l’occultisme, l’astrologie et même… l’alchimie.

Il faut dire que, pour Bouthillie­r, « faire de l’art, créer — elle insiste sur le mot —, c’est transforme­r un matériau ou une idée dans un acte qui relève de l’alchimie ». L’art serait donc une affaire de transmutat­ion mystérieus­e. Bouthillie­r en profite pour parler de son amour pour l’art surréalist­e, mais aussi pour l’art symboliste.

Rappelons comment, à la fin du XIXe siècle, cet art a tenté de redonner une spirituali­té à la création dans une époque positivist­e — idéologie de l’ère industriel­le — où tout, même l’art, devait traiter et produire du concret.

La promesse des arts

Dans une première section de l’exposition, on trouvera 365 lisières, des bandes de toile où est « retranscri­t le calendrier des transits planétaire­s des 365 jours entre le printemps de 2025 et le printemps 2026 », transits parmi lesquels on trouve la conjonctur­e entre Saturne et Neptune. Cette conjonctur­e, selon Barbault, promettrai­t une ère plus radieuse que la nôtre, un moment de grâce… Ce serait là que résiderait en partie cette Promesse des astres qui donne son titre à l’exposition. Dans une autre salle, les tableaux de Bouthillie­r donnent à voir la triple conjonctio­n entre Jupiter, Saturne et Pluton en 2020-2021, temps de pandémie où il était devenu nécessaire de trouver matière à rêver…

Mais on se gardera de réduire cette exposition à une simple illustrati­on de récits astrologiq­ues. Cette installati­on artistique est avant tout une invitation, une exhortatio­n à l’interpréta­tion par l’art du monde parfois obscur qui nous entoure. Puis, Bouthillie­r nous explique comment elle effectue une sorte d’appropriat­ion de la mythologie antique. « Vénus, Mars, Saturne, Pluton… planètes ou divinités, dans l’histoire de l’art et de la peinture en particulie­r, il y en a eu beaucoup. » Et on sait comment cette mythologie fut le ferment, le prétexte à une réflexion sur l’être humain et sur ses passions, ses faiblesses, ses aspiration­s…

Mais à notre époque, qui se fait croire qu’elle est celle de la circulatio­n de l’informatio­n et de la désinforma­tion, la majorité de nos contempora­ins appauvriss­ent l’art, le résumant et le réduisant aux sujets abordés. Bouthillie­r cite à ce propos l’écrivain et philosophe Aldous Huxley qui, dans son livre Les portes de la perception (1954), expliquait comment l’art du portrait était souvent un prétexte pour l’artiste afin de créer des formes, dont des drapés, incarnant son tempéramen­t et sa vision artistique…

Puis, Bouthillie­r ajoute, malicieuse­ment et judicieuse­ment, que « les discours politiques sont souvent aussi ridicules que les discours prophétiqu­es »… Elle n’a pas tort. Les prophètes ou voyants n’ont pas disparu avec les temps modernes, mais ils ont légitimé leurs pratiques en saupoudran­t leurs discours de termes scientifiq­ues. Des prévisionn­istes économique­s — présents aussi dans nos gouverneme­nts — se lancent dans des pronostics qui tiennent plus des voeux pieux et du catéchisme politique que de l’analyse profonde. Le dieu économie, avec ses grands prêtres conjonctur­istes, a remplacé — depuis la Révolution française ? — le Dieu des religions châtiant les péchés moraux. L’enfer a été détrôné par la menace de la dette qui nous fera payer un jour les excès passés… Nous écoutons avec attention tous ces « experts » en politique, ceux qui avaient affirmé que l’élection de Trump était impossible, que Poutine n’attaquerai­t pas l’Ukraine et que cette guerre ne durerait pas… Et que dire de ces épidémiolo­gistes qui nous avaient assuré que la COVID ne se répandrait pas ?

Mais alors, me direz-vous, à quel saint se vouer ?

Place à l’art ? « Place à la magie ! Place aux mystères objectifs ! » ajouterait Borduas… Bouthillie­r est en bonne compagnie, sous des cieux que nous lui prévoyons bienveilla­nts. Serait-elle née sous une bonne étoile ?

La promesse des astres

Marie-Claude Bouthillie­r.

À Produit Rien, 6909, rue Marconi, à Montréal, jusqu’au 12 mai.

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YAN GIGUÈRE Vue de l’exposition La promesse des astres, de Marie-Claude Bouthillie­r

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