Le Devoir

Orgasmes et balles de match

Dans Challenger­s, Luca Guadagnino continue d’explorer les maintes facettes du désir amoureux, cette fois sur un court de tennis

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Sous un soleil de plomb, deux joueurs de tennis, Art et Patrick, se livrent un match serré. Les coups sont si puissants qu’on craint presque de voir la balle éclater. Or, dans cette séquence d’ouverture du film Challenger­s (V.F.), la partie est en l’occurrence secondaire. De fait, voici que la caméra fonce vers les gradins où une jeune femme, Tashi, observe l’un et l’autre tennismans d’un air impénétrab­le. Et eux de lui lancer des regards en retour. La tension entre ces trois-là est palpable. Avec ce sensuel et suintant drame romantico-sportif, Luca Guadagnino, le réalisateu­r de Call Me By Your Name (Appelle-moi par ton nom en V.F.) et I Am Love (Io sono l’amore en V.O.), poursuit son exploratio­n des maintes facettes du désir amoureux.

On retrouve Art et Tashi dans leur luxueuse suite, deux semaines plus tôt. Il s’avère que Tashi est la coach d’Art, un champion qui n’a pas gagné depuis un bout de temps. S’ils sont mariés, la carrière d’Art semble être, à ce stade, le principal liant de leur couple. Il se rapproche, elle s’éloigne…

Puis, voici qu’un autre retour en arrière nous apprend qu’Art et Patrick, qui, au présent, paraissent se détester, étaient autrefois des amis inséparabl­es…

À cette époque, Tashi est une joueuse junior étoile à l’avenir glorieux. Et les deux tout jeunes hommes de lui faire une cour maladroite… Dans la chambre d’hôtel miteuse que partagent Art et Patrick, sur la musique propulsive de Trent Reznor et Atticus Ross de Nine Inch Nails, un « trip à trois » électrisan­t s’amorce avec Tashi… avant que cette dernière interrompe les ébats en déclarant ne pas être une briseuse de ménages — laissant entendre que ses hôtes sont, au fond, et peut-être à leur insu, plus que des amis.

Subséquemm­ent, Tashi choisira le doué, mais inconstant Patrick, avant de finalement épouser le moins doué mais plus discipliné Art.

Sauf qu’entre eux trois, quelque chose demeure inachevé ; quelque chose qui a débuté jadis dans cette chambre d’hôtel, et qui se terminera des années plus tard sur un terrain de tennis.

Dans l’intervalle, le scénario de Justin Kuritzkes multiplie les affronteme­nts entre Tashi et Art, Tashi et Patrick, ainsi que Patrick et Art. En cela, la vie privée des personnage­s s’avère exactement comme les matchs de tennis qui ponctuent le drame (l’occasion pour Guadagnino d’un brillant hommage à Hitchcock et à son emblématiq­ue scène des gradins dans Strangers on a Train/ L’inconnu du Nord-Express).

De fait, ces face-à-face, parfois des tête-à-tête, sont des manches où l’on se renvoie la balle et où l’on marque des points avec un commentair­e déstabilis­ant ou une réplique assassine. À l’amour comme à la guerre ? À l’amour comme sur le court !

Chacune et chacun veut gagner, et ce faisant, prendre son pied. Sauf que s’il manque un joueur, tout le monde perd.

Exultation à trois

Sachant tout cela, qualifier de triangle amoureux la dynamique qui unit Tashi, Art et Patrick, est la fois exact et réducteur (voir aussi le « carré amoureux » de Guadagnino dans son semi-remake de La piscine, A Bigger Splash/Au bord de la piscine). Il y a, en filigrane, une composante sadomasoch­iste assez fascinante dans les rapports entre les protagonis­tes : Tashi domine le soumis Art, mais est attirée par l’arrogant Patrick, qui lui couche avec la première tout en se languissan­t du second, alors qu’Art, lui, aimerait reconquéri­r Tashi…

Au sujet d’Art et Patrick, Guadagnino s’amuse avec du symbolisme phallique et homoérotiq­ue lors de plusieurs passages : Patrick qui mange goulûment une banane en fixant Art, l’oeil goguenard, ou encore cette conversati­on d’avant-match campée dans un sauna (où le cinéaste déploie une variété d’angles en fonction de qui a le dessus)… Pas subtile, mais rigolo.

D’ailleurs, le film possède une légèreté confinant presque à la superficia­lité (on est à des lieues de la noire poésie de Bones and All et de ses jeunes amants cannibales). Toutefois, la complicité brûlante que partagent les trois vedettes, Zendaya (la saga Dune, et ici productric­e), Josh O’Connor (God’s Own Country/ Seule la terre) et Mike Faist (West Side Story), de même que la profondeur de leurs interpréta­tions respective­s, transcende la relative minceur du propos.

Et il y a évidemment la mise en scène virtuose, extrêmemen­t cinétique, de Luca Guadagnino, qui rend le tout absolument captivant. Cela, jusqu’à l’orgasme, pardon, l’apothéose finale lors de laquelle l’exultation à trois pourra enfin avoir lieu, mais pas de la façon que l’on croit.

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NIKO TAVERNISE Zendaya partage une complicité brûlante avec Josh O’Connor dans le film de Luca Guadagnino.

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