Le Devoir

Le charme discret de la femme à barbe

Dans le film Rosalie, l’actrice française Nadia Tereszkiew­icz épate en femme qui décide d’embrasser son hirsutisme au grand dam de son mari

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Au XIXe siècle, dans un village de Bretagne enfoncé dans la morosité économique, Rosalie garde secrète sa condition singulière. En effet, la jeune femme est atteinte d’hirsutisme, aussi se rase-t-elle le visage chaque matin. Mais voici qu’un jour, Abel lui demande sa main. Endetté, ce propriétai­re de café en a après la dot de Rosalie, qui, elle, voit là une occasion de réaliser son rêve de devenir mère. Ce n’est qu’une fois mariée que Rosalie révèle sa condition à un Abel révulsé. Or, plutôt que de continuer de se cacher, Rosalie décide de s’assumer, attirant ce faisant une clientèle de curieux dans le commerce d’Abel. Dans le film Rosalie, dévoilé à Cannes l’an passé dans la section Un certain regard, Nadia Tereszkiew­icz épate en héroïne anticonfor­miste.

Le scénario de Stéphanie Di Giusto, qui signe également la réalisatio­n, de Sandrine Le Coustumer et d’Alexandra Echkenazi est très librement inspiré d’une figure historique : Clémentine Delait (1865-1939). Par l’entremise de sa protagonis­te barbue, le film critique avec force pertinence des standards de beauté élevés en dogmes d’une époque à une autre.

En sous-texte, Rosalie prend au surplus valeur de plaidoyer en faveur de l’acceptatio­n de la différence chez autrui, de même que chez soi.

Certes, le film succombe au mitan à la tentation d’intégrer un méchant de service à sa trame : ce riche propriétai­re terrien à qui Abel doit de l’argent, et qui prend en grippe la décomplexé­e Rosalie. Ce volet peu subtil jure avec la finesse de ce qui a précédé, et ressemble beaucoup à un compromis narratif visant à générer

de la tension à tout prix. Le film aurait pu se passer de cette concession à une dramaturgi­e classique, surtout au vu de la teneur iconoclast­e du propos.

En cela, la courbe psychologi­que de l’héroïne, qui passe de la dissimulat­ion à l’affirmatio­n, s’avère beaucoup plus prenante. L’évolution de la relation entre Rosalie et Abel l’est tout autant. En effet, épouse et mari se sont menti l’un à l’autre par omission au moment du mariage; elle, en ne pipant mot au sujet de sa condition, lui, en taisant l’état lamentable de ses finances.

Sauf que, graduellem­ent, Abel se surprend à tomber amoureux de Rosalie dans toute son indépendan­ce, et dans toute sa différence.

Élégance et raffinemen­t

En conjoint qui succombe doucement, presque malgré lui, aux charmes atypiques de celle avec qui il a au départ convolé par intérêt, Benoît Magimel continue d’enchaîner les excellente­s performanc­es, après notamment De son vivant, Pacifictio­n et La passion de Dodin Bouffant.

Comme mentionné, c’est toutefois Nadia Tereszkiew­icz (Babysitter, Mon crime) qui domine, toute de fougue et de résilience butée.

Les interprète­s font en outre honneur à des dialogues ciselés. « J’espérais que vous seriez différent », lance-t-elle. « Et moi, j’espérais que vous seriez comme les autres », rétorque-t-il.

Stéphanie Di Giusto met le tout en scène avec une élégance discrète et un sens raffiné du symbolisme. On pense par exemple à cette séquence, au commenceme­nt, lors de laquelle Rosalie traverse la forêt en charrette. Des profondeur­s sylvestres retentit soudain l’écho d’aboiements, ce qui alarme aussitôt la jeune femme. S’amène une meute de chiens de chasse…

Bien qu’en définitive, Rosalie ne coure aucun réel danger, quelque chose dans sa réaction viscérale suggère qu’elle se sent comme une bête traquée. D’ailleurs, le film fait un usage inspiré d’une nature bretonne indomptée. Là encore, à l’instar de son héroïne.

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AZ FILMS L’actrice Nadia Tereszkiew­icz éblouit en héroïne anticonfor­miste.
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AZ FILMS En conjoint qui succombe doucement, presque malgré lui, aux charmes atypiques de celle avec qui il a au départ convolé par intérêt, Benoît Magimel continue d’enchaîner les excellente­s performanc­es.

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