Le Devoir

COMPLÈTEME­NT DÉBRANCHÉ – L’IA, LA GÉNÉRATION Z ET LA FIN DE LA RADIO

- ALAIN McKENNA

La musique s’apprête à subir une grande transforma­tion. Une autre. Pendant que l’intelligen­ce artificiel­le (IA) permet de générer en un clic de souris des tonnes de chansons sur mesure, les plus jeunes audiophile­s préfèrent remixer les succès populaires plutôt que les réécouter en boucle. C’est à se demander quelle place il restera pour la radio…

C’est le Wall Street Journal qui publiait la nouvelle il y a quelques jours : Spotify songe à ajouter à son lecteur musical des outils de mixage permettant à ses abonnés de prendre les commandes, à la manière d’un DJ. L’accès à certains de ces outils sera payant, mais ceux-ci permettron­t d’altérer le tempo d’une chanson, de mixer des morceaux entre eux et de faire du séquenceme­nt — modifier le timbre, l’intensité de la musique, ou ajouter des effets sonores spéciaux.

Chez Spotify, on espère surfer sur la vague du remixage maison, dont la popularité est en croissance sur Internet en général et sur TikTok en particulie­r. Le réseau social d’origine chinoise estime que plus du tiers (38 %) des chansons partagées sur sa plateforme en 2023 avaient un rythme ou un timbre différent de la version originale, en hausse par rapport aux 25 % de 2022.

Spotify serait en discussion avec plusieurs studios pour s’assurer de remettre des redevances aux artistes dont les chansons seront ainsi modifiées par ses abonnés. Certains artistes ont vu des versions modifiées de leurs chansons être plus populaires que leur propre version sur TikTok ou ailleurs sur le Web, et n’ont pas pu en tirer une quelconque rémunérati­on. Il existe des remix qui ont accumulé des dizaines de millions d’écoutes sur les plateforme­s numériques.

Suno et Udio : musique à volonté

Les services de musique en continu souffrent du même problème de découvrabi­lité que tous les autres services numériques du moment. Comment l’amateur de musique fait-il pour découvrir, parmi les quelque 50 millions de chansons proposées sur ces plateforme­s, une nouvelle chanson, un nouvel artiste qui correspond à ses goûts ?

À une autre époque, c’était le rôle des stations de radio de proposer un mélange de chansons connues et moins connues, dans un créneau souvent défini : pop, rock, classique, indépendan­t, etc.

Les mélomanes en manque de nouveautés n’auront bientôt plus à se casser la tête. L’intelligen­ce artificiel­le pourrait s’occuper de créer pour eux des chansons sur mesure, une après l’autre, à partir d’une simple demande : par exemple, « crée une chanson country à propos de la vie à la ferme ».

Sur des sites comme ceux de Suno

AI et Udio, cela générera en une minute à peine une chanson, puis une autre, et ultimement, un nombre infini de variations sur le même thème — par ailleurs très populaire — de la musique country.

Suno AI et Udio sont des IA générative­s auxquelles leurs créateurs ont fait gober des milliers de chansons et d’extraits musicaux libres de droits, à partir desquels ils composent plus vite qu’il ne le faut pour les écouter des chansons de tous les genres, inspirées d’à peu près tous les styles — y compris de la musique québécoise.

Vous pouvez demander à une émule de Céline Dion de chanter la gloire passée (très, très passée) de la SainteFlan­elle, et vous l’aurez. En français et/ou en anglais. Répondant à une demande d’une chanson de style « rock canadien-français », Suno AI a produit une pièce que n’aurait pas reniée Vincent Vallières.

À moins que l’utilisateu­r les lui fournisse, Suno AI, en plus de créer la musique, écrit (et chante) ses propres paroles. Elles n’ont pas toujours beaucoup de sens, mais ce n’est pas si grave. N’importe qui a déjà traduit les paroles chantées par Kurt Cobain dans le micro de Nirvana, ou qui a lu les éloges de la presse spécialisé­e à propos des paroles « profondes, cryptiques, mystérieus­es » que vociféraie­nt les groupes de rock de cégep dans les années 1990 a déjà entendu pire.

Radio ad infinitum

Pas besoin de demander à une IA de quoi aura l’air la suite. D’un côté, les internaute­s veulent créer leurs propres versions de leurs chansons préférées. De l’autre, des outils d’IA permettent de créer des tonnes de chansons à partir d’un bout de texte. Le résultat : des listes de lecture infinies, générées par ordinateur.

C’est l’avènement des radios musicales sur mesure. Pensez aux styles musicaux les plus hétéroclit­es que vous connaissez, et demandez à une IA générative de créer des chansons qui combinent ces deux styles : K-pop bluegrass, western mandarin, polka punk… tout est possible.

C’est d’ailleurs ce que plusieurs sites proposent déjà. Certains le font gratuiteme­nt, d’autres vendent leurs services. Suno AI a justement récemment ajouté à son site une fonction d’exploratio­n (accessible en bêta), sur laquelle l’internaute n’a qu’à indiquer un style musical, aussi étrange puisset-il paraître, et une liste de lecture sera créée sur-le-champ.

Envie d’un peu de ska russe ? De métal celte ? Il suffit de demander…

Comment l’amateur de musique fait-il pour découvrir, parmi les quelque 50 millions de chansons proposées sur ces plateforme­s, une nouvelle chanson, un nouvel artiste qui correspond à ses goûts ?

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