Le surplace de Brandt Tractor dénoncé
Le litige qui oppose Brandt Tractor et ses travailleurs à Saguenay, qui s’apprête à fêter son premier anniversaire, montre bien l’importance de raffermir les droits des travailleurs, souligne la Centrale des syndicats démocratiques (CSD).
« Comment se fait-il qu’avec neuf décisions du tribunal, toutes en faveur du syndicat, rien ne change ? » s’interroge Luc Vachon, président de la CSD. À Saguenay, le bras de fer se poursuit entre Brandt Tractor et ses 11 travailleurs au sujet du renouvellement de leur convention collective, échue depuis le 31 décembre 2020.
Dès le début des négociations, les tribunaux ont été impliqués, le syndicat déposant une plainte de négociation de mauvaise foi au Tribunal administratif du travail (TAT). L’employeur a notamment ajouté plusieurs clauses dans la convention collective qui lui permettrait de modifier les conditions et l’organisation du travail ainsi que le salaire quand bon lui semble. « Il dit, tu as des droits, mais en une phrase les enlève tous », affirme M. Vachon. Les travailleurs ont déclenché une grève générale illimitée le 25 mai 2023.
Plus de mordant
Utilisation de briseurs de grève, contestation des décisions devant les tribunaux : depuis près d’un an, le conflit fait du surplace. Même si les lois en place ont condamné l’entreprise fautive, rien ne bouge. « Le conflit de Brandt Tractor se passe en région et concerne peu de travailleurs. Ça intéresse peu de monde », se désole M. Vachon. Sans son association à la CSD, le Syndicat national des employés de garage du Québec (SNEGQ) dont fait partie la dizaine de travailleurs de Saguenay n’aurait pas eu les reins assez solides pour faire face au conflit. « Un syndicat de salariés non affilié à un regroupement aurait été forcé de se coucher au premier jour », remarque-t-il.
Si le conflit avait touché un grand nombre de travailleurs ou un secteur névralgique de l’économie, les choses auraient bougé, croit M. Vachon. « Les lois ont perdu de leur efficacité, et l’opinion publique fait plus de pression que les lois, malgré ce qu’on nous dit, martèle-t-il. Si les lois étaient véritablement justes, le dénouement d’un conflit ne serait pas dicté par le nombre de salariés. »
La CSD plaide ainsi pour que les obligations soient plus contraignantes, et les amendes, plus importantes. L’amende de 25 000 $ imposée à
Brandt a en effet peu de répercussions sur la grande entreprise, « le plus grand concessionnaire privé d’équipement de construction et de foresterie John Deere au monde », peut-on lire sur son site Web. « Ça leur coûte moins cher de payer l’amende et de contourner la loi », observe M. Vachon. Parce que pendant toutes ces procédures, les opérations n’ont pas cessé.
Déséquilibre des forces
Au Québec, le Code du travail interdit les travailleurs de remplacement (briseurs de grève). Or, celui-ci est de moins en moins adapté aux nouvelles réalités du monde du travail : télétravail, multiplication des divisions, délocalisation. Une entreprise peut facilement, en cas de conflit de travail, déplacer le travail dans une autre division. « Ça devient alors difficile de faire la preuve que des briseurs de grève ont été utilisés », explique M. Vachon. Les mécaniciens de Brandt Tractor, par exemple, travaillent parfois sur la route, et l’entreprise les a remplacés par des mécaniciens indépendants durant le conflit. Les tribunaux sont de plus en plus sensibilisés à cette réalité, mais il reste du chemin à faire pour protéger les droits des travailleurs en tenant compte de ces nouvelles réalités.
Le fédéral planche en ce moment sur un projet de loi modifiant le Code canadien du travail, qui vise entre autres à interdire le recours à des travailleurs de remplacement durant un conflit de travail dans les entreprises de juridiction fédérale. « S’ils se rendent jusqu’au bout, le Canada aura une longueur d’avance sur le Québec », avance M. Vachon.
Ce projet de loi fait ruer dans les brancards de nombreux employeurs, qui croient que celui-ci déstabilisera l’équilibre des forces. « Mais quel équilibre ? » dénonce M. Vachon. Celui-ci rappelle que lorsque les travailleurs mettent un pied sur le terrain de l’employeur durant ce genre de conflit, l’escalade est rapide : police, injonction. « Ça opère », fait-il remarquer. Les rapports de force sont loin d’être équilibrés, affirme-t-il.
Avant même d’élaborer des lois, il faut donc leur donner du mordant : « Il faut raffermir les lois. Les sanctions doivent être plus fortes et le message doit être clair : ça ne passe pas. C’est trop facile de passer à côté », conclut-il.