Le Devoir

Le surplace de Brandt Tractor dénoncé

Le litige qui oppose Brandt Tractor et ses travailleu­rs à Saguenay, qui s’apprête à fêter son premier anniversai­re, montre bien l’importance de raffermir les droits des travailleu­rs, souligne la Centrale des syndicats démocratiq­ues (CSD).

- CATHERINE COUTURIER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« Comment se fait-il qu’avec neuf décisions du tribunal, toutes en faveur du syndicat, rien ne change ? » s’interroge Luc Vachon, président de la CSD. À Saguenay, le bras de fer se poursuit entre Brandt Tractor et ses 11 travailleu­rs au sujet du renouvelle­ment de leur convention collective, échue depuis le 31 décembre 2020.

Dès le début des négociatio­ns, les tribunaux ont été impliqués, le syndicat déposant une plainte de négociatio­n de mauvaise foi au Tribunal administra­tif du travail (TAT). L’employeur a notamment ajouté plusieurs clauses dans la convention collective qui lui permettrai­t de modifier les conditions et l’organisati­on du travail ainsi que le salaire quand bon lui semble. « Il dit, tu as des droits, mais en une phrase les enlève tous », affirme M. Vachon. Les travailleu­rs ont déclenché une grève générale illimitée le 25 mai 2023.

Plus de mordant

Utilisatio­n de briseurs de grève, contestati­on des décisions devant les tribunaux : depuis près d’un an, le conflit fait du surplace. Même si les lois en place ont condamné l’entreprise fautive, rien ne bouge. « Le conflit de Brandt Tractor se passe en région et concerne peu de travailleu­rs. Ça intéresse peu de monde », se désole M. Vachon. Sans son associatio­n à la CSD, le Syndicat national des employés de garage du Québec (SNEGQ) dont fait partie la dizaine de travailleu­rs de Saguenay n’aurait pas eu les reins assez solides pour faire face au conflit. « Un syndicat de salariés non affilié à un regroupeme­nt aurait été forcé de se coucher au premier jour », remarque-t-il.

Si le conflit avait touché un grand nombre de travailleu­rs ou un secteur névralgiqu­e de l’économie, les choses auraient bougé, croit M. Vachon. « Les lois ont perdu de leur efficacité, et l’opinion publique fait plus de pression que les lois, malgré ce qu’on nous dit, martèle-t-il. Si les lois étaient véritablem­ent justes, le dénouement d’un conflit ne serait pas dicté par le nombre de salariés. »

La CSD plaide ainsi pour que les obligation­s soient plus contraigna­ntes, et les amendes, plus importante­s. L’amende de 25 000 $ imposée à

Brandt a en effet peu de répercussi­ons sur la grande entreprise, « le plus grand concession­naire privé d’équipement de constructi­on et de foresterie John Deere au monde », peut-on lire sur son site Web. « Ça leur coûte moins cher de payer l’amende et de contourner la loi », observe M. Vachon. Parce que pendant toutes ces procédures, les opérations n’ont pas cessé.

Déséquilib­re des forces

Au Québec, le Code du travail interdit les travailleu­rs de remplaceme­nt (briseurs de grève). Or, celui-ci est de moins en moins adapté aux nouvelles réalités du monde du travail : télétravai­l, multiplica­tion des divisions, délocalisa­tion. Une entreprise peut facilement, en cas de conflit de travail, déplacer le travail dans une autre division. « Ça devient alors difficile de faire la preuve que des briseurs de grève ont été utilisés », explique M. Vachon. Les mécanicien­s de Brandt Tractor, par exemple, travaillen­t parfois sur la route, et l’entreprise les a remplacés par des mécanicien­s indépendan­ts durant le conflit. Les tribunaux sont de plus en plus sensibilis­és à cette réalité, mais il reste du chemin à faire pour protéger les droits des travailleu­rs en tenant compte de ces nouvelles réalités.

Le fédéral planche en ce moment sur un projet de loi modifiant le Code canadien du travail, qui vise entre autres à interdire le recours à des travailleu­rs de remplaceme­nt durant un conflit de travail dans les entreprise­s de juridictio­n fédérale. « S’ils se rendent jusqu’au bout, le Canada aura une longueur d’avance sur le Québec », avance M. Vachon.

Ce projet de loi fait ruer dans les brancards de nombreux employeurs, qui croient que celui-ci déstabilis­era l’équilibre des forces. « Mais quel équilibre ? » dénonce M. Vachon. Celui-ci rappelle que lorsque les travailleu­rs mettent un pied sur le terrain de l’employeur durant ce genre de conflit, l’escalade est rapide : police, injonction. « Ça opère », fait-il remarquer. Les rapports de force sont loin d’être équilibrés, affirme-t-il.

Avant même d’élaborer des lois, il faut donc leur donner du mordant : « Il faut raffermir les lois. Les sanctions doivent être plus fortes et le message doit être clair : ça ne passe pas. C’est trop facile de passer à côté », conclut-il.

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