Qui est Solange Crevier ?
La patronne désignée de l’agence Groupe AMS a une feuille de route chargée de fraudes
Solange Crevier, 60 ans, a été condamnée à plusieurs reprises pour des fraudes et de la fabrication de faux documents depuis le début des années 2000.
Le Devoir révèle lundi qu’elle a été l’une des dirigeantes d’une agence de placement qui payait des immigrants 10 $ l’heure pour nettoyer des hôpitaux de Montréal. Son nom n’apparaît pas dans les registres officiels, l’entreprise étant plutôt enregistrée sous le nom de son conjoint, Marc Turcotte. Mais devant la Cour d’appel, elle a elle-même affirmé « devoir veiller aux activités de l’entreprise dont il [son conjoint] est le propriétaire ». Quatre employés de l’agence l’ont aussi reconnue comme « la patronne » lorsque nous les avons questionnés.
Mme Crevier a notamment été médiatisée récemment pour avoir facturé des honoraires d’un demi-million de dollars à Desjardins. Ces sommes lui ont été versées entre 2015 et 2017 quand elle était consultante en informatique sous une identité usurpée à un proche, a rappelé la juge Annie Trudel, dans un jugement rendu en 2023. Elle avait remplacé la photo sur un permis de conduire et une carte d’assurance maladie pour répondre aux vérifications d’identité chez Desjardins. Des informations anonymes ont été communiquées à un inspecteur de l’entreprise, ce qui a finalement mis fin au lien d’emploi.
Entre 2014 et 2016, le ministère de la Culture lui a aussi versé une rétribution au nom de Solane Greuier. Une autre employée du ministère a été alertée lorsqu’elle a reçu un appel pour « Solange Crevier », toujours selon les documents judiciaires. N’ayant pas d’employés à ce nom, elle a fait des recherches sur Internet pour constater que Mme Crevier utilisait une autre identité.
Dans son jugement sur ces deux affaires (rendu en juin 2023), la juge Annie Trudel a notamment souligné « l’ampleur des gestes frauduleux, leur durée, leur degré de sophistication, de préméditation, ainsi que leurs répétitions ». Cet examen lui a permis de conclure à une « responsabilité entière » ainsi qu’à sa « culpabilité morale ».
Entre les regrets et la victimisation
Même si elle plaidait coupable, Mme Crevier a alors tenté de faire valoir qu’elle avait agi de la sorte étant donné qu’il lui était impossible de conserver un emploi dans sa sphère d’expertise du fait de ses antécédents. « Quelqu’un se chargeait, dit-elle, de prévenir son employeur qu’il avait à son service une voleuse », note la Cour d’appel dans sa décision du 9 avril dernier qui déboute son appel.
Elle en était donc venue à la conclusion que Solange Crevier devait « disparaître ». Elle a ainsi minimisé ses crimes en affirmant ne pas être motivée par l’appât du gain, mais par le simple désir de « s’épanouir sur le plan professionnel », rappelle la même cour.
Ses comportements délinquants ont néanmoins un « caractère structuré », avait aussi relevé l’agente de probation Joanie Constantin dans un rapport pré-sentenciel. Insatisfaite de ces conclusions, Mme Crevier avait retenu les services d’une autre experte, la criminologue Maria Mourani. Celle-ci a écrit pour la Cour du Québec avoir constaté que la femme exprimait « de nombreux regrets » et qu’elle vivait de la détresse psychologique, notamment à cause de la médiatisation de ses démêlés avec la justice.
Mme Mourani a cependant aussi noté qu’elle se victimisait. Dans son témoignage, elle a rapporté que Mme Crevier lui a dit : « J’ai reconnu ma culpabilité, mais ça ne veut pas dire que je l’ai fait. »
D’autres antécédents
Solange Crevier avait aussi été reconnue coupable d’avoir volé 20 ordinateurs et 20 moniteurs chez Bombardier au début des années 2000, afin de les revendre. L’un de ces ordinateurs avait été acheté sur le site eBay par un ingénieur de Californie : quand il l’a ouvert, le nom de la compagnie Bombardier est apparu à l’écran avec une liste « impressionnante de numéros de téléphone de plusieurs pays qui semblent reliés aux affaires de la compagnie », est-il écrit dans un jugement de 2006.
Cet ingénieur en question, l’acquéreur d’un ordinateur dont il ignorait qu’il était volé, avait échangé avec Marc Turcotte, est-il inscrit dans la décision. Il s’agit du conjoint de Mme Crevier, qui a admis en entrevue au Devoir payer des immigrants à 10 $ l’heure, « en attendant » qu’ils reçoivent leur permis de travail.
En 2019, elle a aussi plaidé coupable à deux accusations de fraude et d’utilisation d’un faux certificat de naissance chez VIA Rail. Elle a reçu une peine de prison de six mois en 2020 pour ces derniers faits. Mais elle a échappé durant plus d’un an à l’emprisonnement, notamment à cause d’un problème de santé, que des journalistes ont décrit comme « mystérieux ». Même une juge s’est impatientée devant les preuves médicales présentées pour justifier les reports de sa cause.
Au total, cinq avocats figurent à son dossier dans la dernière affaire qui s’est étendue de 2019 à 2024. La dernière avocate criminaliste figurant au dossier, Samantha Di Done, n’a pas répondu aux messages du Devoir.
Même si elle plaidait coupable, Mme Crevier a alors tenté de faire valoir qu’elle avait agi de la sorte étant donné qu’il lui était impossible de conserver un emploi dans sa sphère d’expertise du fait de ses antécédents