Le Devoir

Aimer Courtney, de mère en fille

- Geneviève Duplain-Cyr et Romane Duplain

Dans ses chroniques, Nathalie Plaat en appelle à vos récits. En avril, elle vous demandait ce qu’il restait de vos adolescenc­es. La rubrique « Des nouvelles de vous » donne à lire des extraits de vos réponses, dont celui-ci écrit par une mère et sa fille, qui partagent avec la chroniqueu­se un même amour pour Courtney Love.

La première est pharmacien­ne et mère de trois filles ; la seconde est élève de 3e secondaire en PEI, fan finie de rock et seule au monde dans sa gang d’amies merveilleu­ses.

La mère. En lisant la chronique « Et le ciel était fait d’améthystes » de Nathalie Plaat, je me disais non seulement que j’aurais pu l’écrire (si bien sûr j’avais eu sa plume magnifique), mais aussi que l’adolescenc­e, plus ça change, plus c’est pareil. On est là-dedans avec notre grande de 15 ans en ce moment, big time. Avec son amour pour Courtney Love (comme le mien, il y a presque 30 ans), ses chicanes-tempêtes avec son père et leurs réconcilia­tions sous forme de longues discussion­s sur le rock des années passées.

C’est quand même fou : mes souvenirs d’adolescent­e sont encore tellement vifs. L’ado en moi est facile à réanimer à la lecture d’un texte comme celui-là, à l’écoute de Violet toute seule en courant sur la piste cyclable aussi… Et pourtant, quand ça vient de ma propre fille, je reste une mère, qui a ses consignes et ses règles à donner, ses limites à établir. Comme si mes deux personnali­tés n’arrivaient pas à se mélanger.

Pourtant, je pourrais lui dire, lui raconter tous les paradoxes que je vivais à son âge. J’étais odieuse avec ma mère, qui pourtant n’était pas si loin de son adolescenc­e elle aussi. Comme moi aujourd’hui, elle n’en laissait rien paraître. Je ne voyais en elle que celle qui me tenait en laisse et, moi, je grognais juste plus fort. Pourtant quand je me sentais vulnérable par l’angoisse ou une maladie, il n’y avait que sa présence pour me sécuriser (encore aujourd’hui, je l’appelle quand j’ai besoin de m’ancrer…).

Dernièreme­nt, mes filles ont fouillé dans un garde-robe chez ma mère et elles ont déterré une boîte avec mes vieux journaux intimes. Elles voulaient les lire, apprendre à me connaître plus. Je trouvais que l’idée était bonne. Je me disais d’ailleurs que je n’avais rien à cacher, j’étais une « bonne petite fille » après tout. J’ai quand même cru bon de lire quelques pages toute seule avant de leur ouvrir ce pan de ma vie.

L’adolescent­e que j’y ai retrouvée m’a profondéme­nt troublée. J’ai été terrifiée par sa rage, sa haine et son trouble. En me relisant, j’avais presque honte de moi-même. Je me disais que j’exagérais. En fait, j’agissais comme une mère envers moi-même, j’essayais de rationalis­er tout ça, de me rassurer. Comme si je ne connaissai­s pas le sort de cette adolescent­e ! J’ai passé une partie de la nuit suivante à nager en pleine crise d’angoisse.

Finalement, j’ai refusé à mes filles l’accès à ce journal, je l’ai bien caché dans le fond de ma maison et de mon âme.

La fille. Moi, j’ai encore 15 ans. J’ai vraiment peur de grandir, mais je ne m’identifie à personne. Courtney, je l’adore. C’est ma corde sensible. Ça a beau avoir l’air stupide, je vais toujours la défendre devant les quelques amis qui ont déjà entendu parler d’elle… et la détestent. Je ne les comprends pas. Qu’est-ce qu’elle leur a fait ?

Avec mon père, nos seuls terrains d’entente sont les rares soirs que l’on passe à écouter du rock, de Pink Floyd à My Chemical Romance dans le sous-sol, ou alors quand on regarde Le seigneur des anneaux.

Je ne suis pas heureuse en tant que telle, mais je ne suis pas malheureus­e non plus. Je n’ai jamais vécu l’époque des CD consciemme­nt et, maintenant que la musique et l’adolescenc­e prennent tout leur sens pour moi, j’ai Spotify et des écouteurs Bluetooth que je traîne partout. Sans la musique, je ne serais pas qui je suis, et je suis bien à être qui je suis.

Quant à Courtney, c’est celle que je voudrais être, sans être celle que je voudrais être. Elle a tant souffert, elle incarne la perfection de l’imperfecti­on à mes yeux.

Merci de me prouver que je ne suis pas folle, que je ne suis pas seule. Merci de me prouver que la personne que j’admire plus que tout au monde n’est pas aimée que de moi.

Merci de me réveiller. J’ai peur de vieillir…

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