Le Devoir

À qui léguer les bibliothèq­ues des intellectu­els québécois ?

C’est une réflexion sur la mémoire, l’héritage culturel et la transmissi­on des savoirs qui dépasse largement la charge émotionnel­le et l’espace physique

- Bertrand Laverdure et Virginie Francoeur Le premier est écrivain ; la seconde est écrivaine et professeur­e à Polytechni­que Montréal.

Le boom culturel que le Québec a vécu au coeur de la Révolution tranquille, propulsé entre autres par les réformes de Guy Rocher, aura contribué, durant au moins les trente glorieuses et un peu après, à la thésaurisa­tion d’une masse considérab­le de biens culturels. Les universita­ires, les intellectu­els, les artistes et les écrivains se sont mis à acheter, à la hauteur de leur soif de connaissan­ce et de leurs ambitions de lecture, une quantité phénoménal­e de titres et de trésors d’éditions rares.

Claudia Larochelle explore comment les livres nous font grandir et évoluer comme société dans le documentai­re Lire pour vivre, diffusé sur Savoir média. Bref, doit-on encore rappeler l’importance du livre pour la formation intellectu­elle de tous et de toutes ? Parfois, notre époque semble l’oublier.

Mais qu’allons-nous choisir pour l’avenir de toutes ces bibliothèq­ues, quel sera le destin de cette quantité phénoménal­e de livres qui sera léguée aux prochaines génération­s ? À titre d’exemples, voici quatre cas vécus.

Bertrand Laverdure a aidé une amie, à la mort de son conjoint, intellectu­el et poète, à faire un tri dans l’immense bibliothèq­ue qu’il lui avait laissée. Elle voulait en vendre une partie, alors il était question de la diriger vers de bonnes instances. En effet, à cette étape, une personne qui veut vendre l’entièreté d’une bibliothèq­ue de cette taille peut avoir affaire à des libraires d’occasion peu scrupuleux qui offrent un montant à l’oeil.

Quand la librairie proposa un prix, Bertrand Laverdure suggéra fortement à son amie de refuser. En achetant le lot, la librairie ne tenait pas compte du prix de quelques raretés bibliophil­iques, qui auraient dû faire monter l’estimation générale. Et si cette amie avait voulu léguer cette bibliothèq­ue, à qui aurait-elle dû s’adresser et qu’aurait-on pu lui offrir ?

Dans le film Francoeur. On achève bien les rockers, coréalisé par Virginie Francoeur, on découvre la bibliothèq­ue de ses parents, les écrivains Lucien Francoeur et Claudine Bertrand. Plus de 15 000 livres tapissent les murs, faisant office de sanctuaire de la création, où chaque ouvrage représente un imaginaire collectif. Tous les styles se côtoient : poésie, roman, nouvelle, essai, théâtre, bande dessinée, livre d’art, collection rare de la contre-culture, etc. Derrière la beauté de cette collection se cache une question délicate : que se passera-t-il lorsque Lucien Francoeur et Claudine Bertrand ne seront plus là pour veiller sur leurs trésors littéraire­s ?

Leurs livres, soigneusem­ent rassemblés au fil des décennies, constituen­t un héritage unique et sont témoins d’une transforma­tion profonde de notre société. La décision sur le devenir de cette bibliothèq­ue dépasse la simple question de la charge émotionnel­le et de l’espace physique qu’elle occupe. C’est aussi une réflexion sur la mémoire, l’héritage culturel et la transmissi­on des savoirs. Serait-il possible de transforme­r leur bibliothèq­ue en un musée qui leur rendra hommage ?

Nous ne comptons plus les gens préoccupés par leur volonté de transmettr­e les dizaines de milliers de livres accumulés par leur père ou leur mère, professeur­s, écrivains, intellectu­els d’ici. Il y a quelques semaines, Christine Germain (poète), la fille de Jean-Claude Germain, dramaturge, historien et essayiste, faisait part sur Facebook de son désarroi quant à savoir ce qu’elle allait pouvoir faire de la bibliothèq­ue considérab­le de son père.

M. Germain n’est pas à l’article de la mort, mais la question de la transmissi­on des richesses bibliophil­iques qu’il va ultimement laisser à la postérité se pose concrèteme­nt. L’Université de Montréal a acquis la bibliothèq­ue de l’écrivain Michel Beaulieu. Il y a des fonds d’écrivain aux archives nationales, le fonds Ferron par exemple. Mais il va falloir faire plus.

À ce titre, rappelons le dossier épineux autour de la destinée de la bibliothèq­ue de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), regroupant une collection inestimabl­e de titres québécois des membres de l’histoire de l’institutio­n, soit une bibliothèq­ue qui a été mise sur pied sans doute à la fondation de l’organisme, en 1977. Bref, une bibliothèq­ue de plusieurs milliers de titres à relocalise­r.

La relocalisa­tion ou la mise en valeur de toutes ces collection­s va poser bientôt un problème aux institutio­ns archivisti­ques du Québec.

Faudrait-il ouvrir des bibliothèq­ues privées qui permettrai­ent à des usagers et usagères de visiter ces collection­s fabuleuses dans le cadre d’une entente avec les bibliothèq­ues régionales ? Créer des annexes aux bibliothèq­ues ou agrandir les locaux de la collection nationale à Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec ?

Serait-il possible d’aller sélectionn­er les trésors bibliophil­iques de toutes ces collection­s et d’en faire profiter les lecteurs et lectrices d’ici et d’ailleurs ? D’enrichir ainsi les collection­s existantes dans le réseau des bibliothèq­ues publiques du Québec ?

Ou bien devrions-nous doter des maisons de la culture de lieux qui sauraient accueillir tous ces livres ? Pouvons-nous imaginer un Musée du livre avec une exploratio­n des différents genres littéraire­s ?

Compte tenu de la façon dont on traite en général notre patrimoine bâti, nous restons perplexes quant à la volonté politique d’aborder ce futur problème qui se profile à l’horizon : celui du traitement et de la sauvegarde des bibliothèq­ues des intellectu­els, écrivains et artistes d’ici qui auront contribué à façonner notre héritage culturel pour les génération­s futures.

Faudrait-il ouvrir des bibliothèq­ues privées qui permettrai­ent à des usagers et usagères de visiter ces collection­s fabuleuses dans le cadre d’une entente avec les bibliothèq­ues régionales ? Créer des annexes aux bibliothèq­ues ou agrandir les locaux de la collection nationale à Bibliothèq­ue et Archives nationales du Québec ?

 ?? FATA MORGANA PRODUCTION­S ?? Lucien Francoeur au milieu de sa bibliothèq­ue, dans le film Francoeur. On achève bien les rockers.
FATA MORGANA PRODUCTION­S Lucien Francoeur au milieu de sa bibliothèq­ue, dans le film Francoeur. On achève bien les rockers.

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