Le Devoir

Informatio­n, une belle réussite de Tim Brady

Le 2e volet de la tétralogie du guitariste compositeu­r se passe à Montréal en 1970

- CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

Bradyworks et Tim Brady présentaie­nt samedi et dimanche, en codiffusio­n avec Chants libres et Le Vivier, le second volet d’une tétralogie lyrique intitulée Hope (and the Dark Matter of History). Le cadre de l’opéra de chambre Informatio­n est Montréal en octobre 1970 et le résultat est bien plus convaincan­t que pour le premier volet, Backstage at Carnegie Hall.

Pour comprendre à quel point Informatio­n, de Tim Brady, fonctionne bien, il est intéressan­t de partir de l’expérience précédente, Backstage at Carnegie Hall, et d’opérer quelques comparaiso­ns.

Premièreme­nt, le lieu où se monte le projet s’avère fondamenta­l pour un opéra de chambre. Au lieu d’être enchâssé et confiné au théâtre Centaur, Informatio­n était proposé dans un espace ouvert à l’Espace orange de l’édifice Wilder — Espace danse. Par conséquent, le dispositif rappelait fortement celui d’une grande réussite de Ballet-Opéra-Pantomime, Nero and the Fall of Lehmann Brothers, opéra de Jonathan Dawe (2016) sur la débâcle à Wall Street présenté à la salle Guillet de l’église Notre-Dame-duSaint-Rosaire en 2018. Le travail réalisé sur Informatio­n par Anne-Marie Donovan et Nalo Soyini Bruce pour passer de manière fluide d’une scène à l’autre est vraiment impeccable, créant un « vrai terrain de jeu », pour laisser les histoires se déployer.

Luxe vocal

Un autre enseigneme­nt est que la portée de toute création est tributaire de la qualité musicale. Le problème du premier volet de la tétralogie de Tim Brady, sur le racisme, était que le rôle du guitariste Charlie Christian ne pouvait être tenu que par un ténor noir. Or, les organisate­urs du spectacle n’avaient trouvé qu’un choriste promu à un premier rôle dans une création. Nous avions noté sa « si frêle voix », qui nous faisait croire à « un spectacle de premier cycle estudianti­n ». Tout au contraire, dans la distributi­on montée cette fois par Marie-Annick Béliveau, directrice artistique de Chants libres, nous étions gâtés. Quand le rôle majeur du journalist­e francophon­e est magnifié par la projection et l’ambitus vocal de Pierre Rancourt, l’ensemble acquiert une assise et prend une aura particuliè­re. Tout le monde était excellent d’ailleurs, même si on avait l’impression que Marie-Annick Béliveau se remettait d’un refroidiss­ement ou en couvait un (comment a-t-elle fini la troisième représenta­tion ?).

Par contre, même en français et en anglais, les surtitres ne sont pas un luxe mais une nécessité. On ne peut pas faire confiance aux chanteurs pour nous faire comprendre tous les ressorts d’un texte nouveau. Certes, Rancourt et Béliveau cherchent à prononcer au mieux, mais Jacqueline Woodley, en voyageuse intemporel­le, est plus compréhens­ible en français (où elle cherche à se faire comprendre) qu’en anglais (où elle cherche à sortir le meilleur de sa voix). C’est gênant pour suivre précisémen­t une trame qui repose sur ses prémonitio­ns.

Les trois histoires en une — La crise d’Octobre, l’avortement, la défection d’une ballerine russe — ne sont pas source de chaos mais de variété et de respiratio­n dans une oeuvre dont un sujet important est : « Que ferionsnou­s si nous avions le pouvoir de changer le cours des choses ? » Cette question-là va forcément devenir existentie­lle dans les deux derniers opéras qui se situent dans le futur.

Dernier point important : le raffinemen­t supplément­aire de la trame instrument­ale de Tim Brady. Les sonorités de la guitare électrique et du clavier sont souvent très astucieuse­ment et finement employées dans Informatio­n pour créer des atmosphère­s tendues ou mystérieus­es, et le violoncell­e, aussi, a un rôle important. Peut-être dans les représenta­tions 2 et 3 l’amplificat­ion des voix aurat-elle été légèrement baissée pour en goûter davantage les subtilités.

Cycle magnifique­ment relancé avec une époque et des sujets bien brossés et bien traités.

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Les sonorités de la guitare électrique et du clavier sont souvent très astucieuse­ment et finement employées dans Informatio­n pour créer des atmosphère­s tendues ou mystérieus­es.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Les sonorités de la guitare électrique et du clavier sont souvent très astucieuse­ment et finement employées dans Informatio­n pour créer des atmosphère­s tendues ou mystérieus­es.

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