Le danger du jovialisme
La pensée positive est assurément une bonne chose quand on se lance dans une entreprise qui nécessitera une bonne dose de courage et de détermination. Il ne faut cependant pas la confondre avec le jovialisme, qui risque de faire sous-estimer l’ampleur du défi et de donner une fausse impression de sécurité.
Le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a déclaré dimanche que le nouveau plan d’action sur lequel lui et cinq de ses collègues planchaient depuis 14 mois permettrait d’« inverser le déclin très rapidement », même s’il n’a pas voulu dire combien de temps il faudra pour constater ce renversement.
La bonne volonté du ministre ne fait pas de doute, et on voudrait bien partager son optimisme, mais l’évolution des indicateurs démolinguistiques entre 2001 et 2021 que souligne son propre document reflète une tendance dangereusement lourde. Selon lui, grâce aux mesures que le gouvernement Legault a mises en place depuis son arrivée au pouvoir, en 2018, « les changements sont bel et bien amorcés », mais on a du mal à en percevoir les effets.
En toute justice, il faut reconnaître que ce gouvernement a fait plus pour la protection du français que tous ceux qui l’ont précédé depuis celui de René Lévesque. Durant son bref mandat, Pauline Marois avait bien essayé, mais les partis d’opposition, y compris la CAQ, l’avaient empêchée de donner le coup de barre qu’elle aurait souhaité.
Malgré ses insuffisances, la loi 96 a indéniablement constitué un progrès. La question est plutôt de savoir s’il est encore possible d’assurer un environnement propice à la survie d’une société française dans le cadre d’une fédération totalement dominée par l’anglais.
Le plan dévoilé par M. Roberge reprend pour l’essentiel les mesures que le gouvernement a égrenées au cours de la dernière année. La plus grande part du budget, soit 320 millions en cinq ans, sera consacrée à la francisation des travailleurs étrangers temporaires. Encore faudra-t-il trouver des enseignants, qui manquent déjà cruellement dans les écoles. Et surtout espérer que Justin Trudeau acceptera de freiner l’afflux de ces travailleurs.
Ce n’est pas avant l’an prochain que le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, présentera son projet de loi visant à imposer plus de contenu québécois sur les plateformes de diffusion en continu, dont lui-même semble encore ignorer le contenu. Là encore, la « découvrabilité » des contenus culturels québécois nécessitera une étroite collaboration avec les instances fédérales.
La grande nouveauté du plan de M. Roberge est la confection d’un tableau de bord qui permettra de faire un suivi annuel de l’état de santé du français. Il y a cependant là un sérieux défi de transparence, les gouvernements ayant la fâcheuse tendance à vouloir embellir la réalité.
Récemment, le PQ a vivement critiqué la méthodologie utilisée dans le tableau de bord que le ministre de la Santé, Christian Dubé, a lancé il y a deux ans. Certains indicateurs ont été modifiés, ce qui a rendu impossible un suivi dans le temps. Quand Le Devoir a souligné certaines « invraisemblances » dans les délais d’attente en psychiatrie, une porte-parole a pudiquement reconnu qu’il fallait « rester prudent dans l’interprétation des résultats ».
Depuis des décennies, on a régulièrement reproché aux divers rapports sur la situation français de travestir la réalité, soit pour l’embellir, soit pour la noircir, chacun choisissant les indicateurs qui peuvent justifier ce qu’il souhaite croire.
Le réflexe d’un gouvernement est généralement de voir le verre à moitié plein. Il y a trois semaines, une étude de l’Office québécois de la langue française indiquait que la proportion de Québécois utilisant uniquement le français au travail avait diminué de 7 points à l’extérieur de Montréal entre 2016 et 2023. M. Roberge a plutôt noté que celle des anglophones travaillant exclusivement ou généralement en français avait augmenté de 5 points. « C’est une avance qui a été possible grâce à la loi 96 », a-t-il dit, sans toutefois expliquer pourquoi cette même loi n’avait pas eu le même effet sur la langue de travail des francophones.
Sans surprise, le porte-parole péquiste, Pascal Bérubé, a qualifié son plan d’« opération de relations publiques » qui ne pourra pas freiner le déclin du français, encore moins renverser la tendance. Sa collègue de Québec solidaire, Ruba Ghazal, lui a plus précisément reproché de ne pas avoir imposé la francisation obligatoire dans les milieux de travail.
La députée libérale de BourassaSauvé, Madwa-Nika Cadet, a déclaré que le plan caquiste manquait « cruellement de vision et d’ambition ». Quand on sait que le PLQ a voté contre l’adoption de la loi 101 en 1977 et qu’il s’est opposé systématiquement à toutes les tentatives de la renforcer depuis, elle aurait pu se garder une petite gêne.