Le Devoir

La répression des manifestat­ions pro-palestinie­nnes sur les campus, une arme politique

Loin de calmer le jeu, les arrestatio­ns massives ont galvanisé le mouvement étudiant d’est en ouest

- Christian Nadeau L’auteur est professeur de philosophi­e à l’Université de Montréal.

L’arrestatio­n, le 18 avril dernier, d’une centaine d’étudiantes et d’étudiants de l’Université Columbia rassemblés contre la guerre à Gaza, a entraîné une grande vague de manifestat­ions sur les campus américains.

De nombreuses interventi­ons publiques ont dénoncé la décision de la présidente de l’Université Columbia, Minouche Shafik, de faire appel à la police pour chasser les manifestan­ts. Il ne faudrait pas y voir le geste individuel d’une dirigeante gagnée par la panique. Depuis la fin des années 1960, les directions des université­s américaine­s agissent en ayant bien en tête les risques de poursuites par des cabinets d’avocats au service des milieux ultraconse­rvateurs et des grands donateurs des université­s, qui veillent à la bonne image des campus.

Les politicien­s ne se gênent pas non plus pour semoncer les directions des université­s, comme ce fut le cas lorsque la représenta­nte Virginia Foxx, présidente du comité de la Chambre sur l’éducation et la main-d’oeuvre, a envoyé fin mars une lettre à la direction de l’Université Rutgers fustigeant dans une diatribe maccarthys­te les administra­teurs, les professeur­s et les organisati­ons étudiantes pour avoir créé « un climat d’antisémiti­sme omniprésen­t ».

Depuis la semaine dernière, les interventi­ons de la police sur les campus américains ont donné lieu à plus de plusieurs centaines d’arrestatio­ns en quelques jours. Outre Columbia, Yale, Princeton, Harvard, l’Université de New York (NYU), l’Université du Texas à Austin, l’Université d’État de l’Arizona, pour ne citer que ces seuls cas, font partie de la longue liste des campus où les manifestat­ions pacifiques sont réprimées par la violence politique. Partout, la brutalité juridique et administra­tive accompagne la brutalité policière. Loin de calmer le jeu, les arrestatio­ns massives ont galvanisé le mouvement étudiant d’est en ouest.

Des activités « intrinsèqu­ement dangereuse­s »

Les directions des université­s défendent leurs actions en disant qu’elles ont l’obligation d’assurer la sécurité sur les campus, notamment en démontant les campements en raison des risques d’incendie qu’ils représente­nt. Dès lors, leur décision de faire appel à la police ne viserait pas la communauté étudiante elle-même ni son droit fondamenta­l de manifester.

Contrôler les manifestat­ions ne serait pas un geste politique de la part des directions d’université­s, mais le seul moyen possible, selon elles, d’assurer la sécurité et la protection des personnes. C’est ce qu’affirmait par exemple la direction de l’Université Princeton après l’arrestatio­n de deux étudiants, parce que planter des tentes « violait la politique de l’Université ». Selon la direction, les occupation­s des espaces, les sit-in et les campements sont des activités « intrinsèqu­ement dangereuse­s », qu’il est nécessaire d’empêcher à tout prix.

Si planter une tente est un geste dangereux, il faudrait demander aux cadres de ces université­s ce qu’ils pensent de la présence des assauts de policiers à cheval ou en armes, de personnes projetées au sol pour être arrêtées ou de l’usage du Taser contre des jeunes sans défense. L’argument de la sécurité des campus donne carte blanche aux corps policiers, qui, loin d’agir de manière à protéger les personnes et les biens, chargent brutalemen­t les groupes étudiants et arrêtent même des membres du corps professora­l venus seulement témoigner leur appui au droit de manifester des étudiants.

Dans un discours à l’Université de Columbia, le président de la Chambre des représenta­nts, Mike Johnson, a demandé à la Maison-Blanche d’intervenir en faisant appel à la Garde nationale pour mettre un terme aux manifestat­ions. Il en a profité pour ridiculise­r les protestati­ons en demandant aux étudiants de cesser de gaspiller l’argent de leurs parents et de retourner travailler en classe. Étant donné le climat politique aux États-Unis, il ne serait pas étonnant que surviennen­t des épisodes tragiques comme celui du 4 mai 1970, lorsque des membres de la Garde nationale de l’Ohio avaient tiré sur une foule de manifestan­ts de l’Université d’État de Kent, tuant quatre étudiants et en blessant neuf autres, ce que rappelle la célèbre chanson Ohio, de Neil Young.

Jusqu’ici, les mouvements de protestati­on ont été relativeme­nt modestes sur les campus canadiens et québécois, à l’exception de McGill, où un campement a été installé, et de Concordia. Reste à voir si des groupes étudiants des université­s francophon­es se mobilisero­nt. Cela pourrait avoir lieu maintenant ou plus tard, si la guerre se poursuit jusqu’à l’automne ou si elle se prolonge par une occupation militaire de Gaza. Les événements de 2012 nous ont montré toute la violence dont la police a été capable contre la communauté étudiante. Espérons que les directions des université­s canadienne­s et québécoise­s ne seront pas tentées d’imiter celles de notre voisin du Sud.

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