La répression des manifestations pro-palestiniennes sur les campus, une arme politique
Loin de calmer le jeu, les arrestations massives ont galvanisé le mouvement étudiant d’est en ouest
L’arrestation, le 18 avril dernier, d’une centaine d’étudiantes et d’étudiants de l’Université Columbia rassemblés contre la guerre à Gaza, a entraîné une grande vague de manifestations sur les campus américains.
De nombreuses interventions publiques ont dénoncé la décision de la présidente de l’Université Columbia, Minouche Shafik, de faire appel à la police pour chasser les manifestants. Il ne faudrait pas y voir le geste individuel d’une dirigeante gagnée par la panique. Depuis la fin des années 1960, les directions des universités américaines agissent en ayant bien en tête les risques de poursuites par des cabinets d’avocats au service des milieux ultraconservateurs et des grands donateurs des universités, qui veillent à la bonne image des campus.
Les politiciens ne se gênent pas non plus pour semoncer les directions des universités, comme ce fut le cas lorsque la représentante Virginia Foxx, présidente du comité de la Chambre sur l’éducation et la main-d’oeuvre, a envoyé fin mars une lettre à la direction de l’Université Rutgers fustigeant dans une diatribe maccarthyste les administrateurs, les professeurs et les organisations étudiantes pour avoir créé « un climat d’antisémitisme omniprésent ».
Depuis la semaine dernière, les interventions de la police sur les campus américains ont donné lieu à plus de plusieurs centaines d’arrestations en quelques jours. Outre Columbia, Yale, Princeton, Harvard, l’Université de New York (NYU), l’Université du Texas à Austin, l’Université d’État de l’Arizona, pour ne citer que ces seuls cas, font partie de la longue liste des campus où les manifestations pacifiques sont réprimées par la violence politique. Partout, la brutalité juridique et administrative accompagne la brutalité policière. Loin de calmer le jeu, les arrestations massives ont galvanisé le mouvement étudiant d’est en ouest.
Des activités « intrinsèquement dangereuses »
Les directions des universités défendent leurs actions en disant qu’elles ont l’obligation d’assurer la sécurité sur les campus, notamment en démontant les campements en raison des risques d’incendie qu’ils représentent. Dès lors, leur décision de faire appel à la police ne viserait pas la communauté étudiante elle-même ni son droit fondamental de manifester.
Contrôler les manifestations ne serait pas un geste politique de la part des directions d’universités, mais le seul moyen possible, selon elles, d’assurer la sécurité et la protection des personnes. C’est ce qu’affirmait par exemple la direction de l’Université Princeton après l’arrestation de deux étudiants, parce que planter des tentes « violait la politique de l’Université ». Selon la direction, les occupations des espaces, les sit-in et les campements sont des activités « intrinsèquement dangereuses », qu’il est nécessaire d’empêcher à tout prix.
Si planter une tente est un geste dangereux, il faudrait demander aux cadres de ces universités ce qu’ils pensent de la présence des assauts de policiers à cheval ou en armes, de personnes projetées au sol pour être arrêtées ou de l’usage du Taser contre des jeunes sans défense. L’argument de la sécurité des campus donne carte blanche aux corps policiers, qui, loin d’agir de manière à protéger les personnes et les biens, chargent brutalement les groupes étudiants et arrêtent même des membres du corps professoral venus seulement témoigner leur appui au droit de manifester des étudiants.
Dans un discours à l’Université de Columbia, le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a demandé à la Maison-Blanche d’intervenir en faisant appel à la Garde nationale pour mettre un terme aux manifestations. Il en a profité pour ridiculiser les protestations en demandant aux étudiants de cesser de gaspiller l’argent de leurs parents et de retourner travailler en classe. Étant donné le climat politique aux États-Unis, il ne serait pas étonnant que surviennent des épisodes tragiques comme celui du 4 mai 1970, lorsque des membres de la Garde nationale de l’Ohio avaient tiré sur une foule de manifestants de l’Université d’État de Kent, tuant quatre étudiants et en blessant neuf autres, ce que rappelle la célèbre chanson Ohio, de Neil Young.
Jusqu’ici, les mouvements de protestation ont été relativement modestes sur les campus canadiens et québécois, à l’exception de McGill, où un campement a été installé, et de Concordia. Reste à voir si des groupes étudiants des universités francophones se mobiliseront. Cela pourrait avoir lieu maintenant ou plus tard, si la guerre se poursuit jusqu’à l’automne ou si elle se prolonge par une occupation militaire de Gaza. Les événements de 2012 nous ont montré toute la violence dont la police a été capable contre la communauté étudiante. Espérons que les directions des universités canadiennes et québécoises ne seront pas tentées d’imiter celles de notre voisin du Sud.