Le Devoir

« On ne compte pas partir »

L’Université McGill entrevoit un démantèlem­ent du campement des protestata­ires pour la Palestine sur le campus, ce que critiquent plusieurs étudiants et professeur­s

- ZACHARIE GOUDREAULT LE DEVOIR

La tension a monté d’un cran lundi aux environs du campement en soutien à la Palestine érigé sur le terrain de l’Université McGill, qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis samedi. Son démantèlem­ent par les forces policières est maintenant appréhendé, mais une telle action contre une manifestat­ion pacifique irait à l’encontre du principe de la liberté universita­ire, de l’avis de professeur­s rencontrés sur place par Le Devoir.

Le mouvement, qui demande à l’établissem­ent de cesser d’investir dans des compagnies qui fournissen­t de l’équipement ou des services à l’armée israélienn­e et de couper tout lien avec des université­s israélienn­es, a attiré des étudiants de plusieurs institutio­ns montréalai­ses dans les derniers jours.

Situé près de la rue Sherbrooke, le campement compte actuelleme­nt plus de 80 tentes, soit trois fois plus qu’au début de cette mobilisati­on, samedi.

« On demande un désinvesti­ssement de McGill et de Concordia dans les liens qu’elles ont dans des organisati­ons qui financent le génocide qui survient à Gaza », résume en entrevue Ali, qui a été présenté au Devoir lundi comme le représenta­nt des occupants du campement.

«Aussi longtemps que nécessaire»

Jusqu’à maintenant, cette mobilisati­on s’est déroulée sans heurts, de l’avis des manifestan­ts rencontrés devant le campement entouré de clôtures sur lesquelles sont accrochées des affiches dénonçant l’ampleur des attaques à Gaza. Ces dernières ont entraîné la mort de 34 488 personnes, en majorité des civils, selon le ministère de la Santé de l’enclave palestinie­nne, contrôlé par le Hamas, depuis les attaques menées par ce même mouvement islamiste en Israël le 7 octobre, qui ont mené à la mort de 1170 personnes, selon les autorités de l’État hébreu.

Joint par Le Devoir, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a confirmé lundi n’avoir procédé à « aucune arrestatio­n » dans le cadre de cette mobilisati­on, qui n’avait donné lieu à « aucun débordemen­t ».

En fin d’avant-midi, cependant, l’inquiétude commençait à se lire sur le visage de plusieurs manifestan­ts.

Appréhenda­nt une interventi­on policière, ils ont bloqué l’entrée du campement avec des planches, puisque l’Université McGill a fait part de son souhait de voir leurs tentes démantelée­s. « On va retirer nos tentes quand vous allez remplir nos demandes » et cesser d’être « complices » dans le financemen­t du « génocide à Gaza », a lancé Ezra Rosen, étudiant à l’Université Concordia et membre de l’organisme Voix juives indépendan­tes, rencontré tout près du campement.

En milieu d’après-midi, la foule d’étudiants, de professeur­s et de citoyens qui s’étaient rendus sur le site en appui à la mobilisati­on continuait de grossir.

« On ne compte pas partir. On va rester ici aussi longtemps que nécessaire », a pour sa part souligné Ali, qui indique que les occupants du campement ont déjà déterminé quelles mesures ils prendraien­t si la police intervenai­t « Nous avons des étudiants prêts à former des lignes de piquetage ; nous avons des étudiants prêts à être sur la ligne de front pour empêcher les policiers d’arrêter des gens et de créer le chaos sur le campus », a-t-il relevé.

Liberté universita­ire

L’Université McGill a pour sa part affirmé lundi, par voie de communiqué, que le campement présent sur le site de son campus au centre-ville contrevena­it « tant à la liberté de faire entendre sa voix qu’à celle de se réunir de manière pacifique ». L’établissem­ent a indiqué avoir ouvert une « enquête » après avoir « visionné des preuves sur vidéo sur lesquelles des individus ont un comporteme­nt intimidant et tiennent des propos manifestem­ent antisémite­s, ce qui est tout à fait inacceptab­le sur nos campus ».

« Chaque fois que l’Université McGill soulève la question — soit de façon ambiguë ou indirectem­ent — de l’antisémiti­sme, elle n’est pas capable de prouver quoi que ce soit », a répliqué lundi la professeur­e d’histoire islamique Rula Jurdi Abisaab, venue soutenir les étudiants mobilisés sur le terrain de l’établissem­ent. Elle a pressé l’établissem­ent de rendre publiques les vidéos en question.

L’Université McGill a par ailleurs indiqué être en communicat­ion avec les avocats qu’ont retenus les occupants du campement afin de « discuter des mesures visant à préserver la sécurité ainsi que de l’adoption d’un calendrier relatif au démantèlem­ent des tentes ». L’établissem­ent affirme cependant que les étudiants refusent de poursuivre les discussion­s et n’ont pas formulé de propositio­ns visant à faire avancer le dialogue.

« Au lieu de cela, les manifestan­ts ont indiqué qu’ils comptaient demeurer sur le campus pour une période indéfinie », poursuit l’établissem­ent, qui précise que « la haute direction de l’Université McGill est présenteme­nt réunie afin de discuter des prochaines étapes qu’elle compte entreprend­re ». Il a été impossible d’obtenir une entrevue avec un membre de la direction de l’établissem­ent, lundi.

« Malheureus­ement, j’entends dans ça la possibilit­é qu’il y ait des discussion­s avec la police », a dit en soupirant le professeur de droit Richard Janda, rencontré devant ce campement lundi.

Dans les derniers jours, des mobilisati­ons de grande ampleur ayant pris forme dans plusieurs université­s américaine­s ont été réprimées avec force par les forces de l’ordre. « Je ne vois pas pourquoi on doit aller dans le sens des campus aux États-Unis, où ces affronteme­nts ont été terribles », confie M. Janda, selon qui une interventi­on policière commandée par l’Université McGill irait à l’encontre de sa « politique sur la liberté académique sur le campus ».

« Il me semble que ce serait une contradict­ion d’avoir à la fois la proclamati­on que le campus est un endroit pour l’expression des idées, mais ensuite de dire que si des propos froissent, on arrive avec la police », souligne le professeur. « C’est pour ça que je suis ici aujourd’hui. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Situé près de la rue Sherbrooke, le campement compte actuelleme­nt plus de 80 tentes, soit trois fois plus qu’au début de cette mobilisati­on, samedi.

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