Les compagnies agroalimentaires engraissent, dénonce Food, Inc. 2
Une suite à l’influent documentaire américain Food, Inc. paraît 16 ans plus tard
Aux États-Unis, si vous achetez une boîte de céréales, vous avez 83 % de chances qu’elle soit produite par l’une des trois multinationales qui dominent le marché. Du côté du lait maternisé, deux compagnies ont la mainmise sur 80 % des produits mis en vente. Ces informations sont tirées du documentaire Food, Inc. 2, des réalisateurs Robert Kenner et Melissa Robledo.
Avez-vous vu le premier Food, Inc., paru en 2008, sélectionné aux Oscar et gagnant de plusieurs prix, dont deux Emmy ? Ce documentaire levait le voile sur le système industriel qui est à l’origine ce qu’on mange, en montrant notamment des chaînes de production, des animaux entassés et la détresse des agriculteurs. Les bouleversements survenus pendant la pandémie ont donné aux artisans de ce film l’idée d’en faire une suite. Et devinez quoi ? Le portrait qu’ils dressent est, sous plusieurs aspects, encore plus sombre.
D’abord, la diversité est encore moins grande qu’avant à l’épicerie. « C’était consolidé il y a 15 ans, mais aujourd’hui, c’est juste incroyablement consolidé », a indiqué M. Kenner, en entrevue au Devoir. Par un processus de rapprochements, de fusions et d’acquisitions, les mégapointures du milieu agricole, de la transformation alimentaire et du commerce de détail ont pris encore plus de place. C’est aussi le cas au Canada, souligne Sylvain Charlebois, expert du domaine agroalimentaire à l’Université Dalhousie. Il y a de moins en moins de fermes. Une poignée de grands épiciers, qui possèdent plusieurs enseignes, « imposent leur loi », souligne-t-il.
Les produits différents se comptent par dizaines de milliers, mais ils sont tous fabriqués par les mêmes compagnies.
Pour les réalisateurs de Food, Inc. 2, cette concentration a des effets pernicieux. « Les agriculteurs des États-Unis, du Canada et de l’Europe sont coincés, parce que le prix de leurs intrants augmente, mais ils n’obtiennent pas des prix en conséquence puisqu’il n’y a pas de diversité d’acheteurs. Dans certains secteurs, les fermiers n’ont qu’une compagnie à laquelle vendre, alors ils doivent accepter le prix qu’on leur offre », explique Mme Robledo. Ce sont les acteurs suivants de la chaîne qui s’en mettent plein les poches, alors que l’inflation grimpe.
Cette concentration de la production entre les mains de quelques entreprises fragilise la chaîne agroalimentaire, estiment également les cinéastes. Pendant la pandémie, les arrêts de production dans certaines usines ont entraîné des pénuries, notamment de lait en poudre pour bébé. Le film revient d’ailleurs sur les éclosions non maîtrisées de COVID-19 qui ont eu lieu dans une usine de viande.
L’abondance d’aliments peu naturels
Le documentaire ratisse relativement large, abordant aussi l’exploitation des travailleurs du milieu agricole et de la restauration rapide, le développement de produits végétaliens et les dangers pour la santé de la prolifération des aliments ultratransformés. Sur ce dernier point, M. Kenner souhaiterait voir naître aux États-Unis un étiquetage s’apparentant à celui qui a été adopté par le Canada en 2022. À partir de 2026, les aliments qui dépassent certains seuils de gras, de sucre et de sel devront afficher un symbole sur le devant de l’emballage.
M. Charlebois se réjouit de cette mesure, qui pourrait pousser les fabricants à limiter les quantités d’ingrédients nocifs pour la santé. « On donne l’information aux consommateurs, et c’est à eux de décider si c’est bon pour eux », a-t-il souligné. L’obligation d’afficher la quantité de gras trans a presque fait disparaître ce type de gras des rayons, estime le professeur.
M. Kenner et Mme Robledo tentent d’insuffler de l’espoir dans leur documentaire. Les réalisateurs soulignent la croissance qu’ont connue les marchés fermiers et les aliments bios dans les dernières années. Ils mettent en avant les actions de politiciens qui se battent pour empêcher la création de monopoles en alimentation. Ils présentent des agriculteurs qui innovent grâce à des méthodes respectueuses de l’environnement.
« On doit agir dans chacun de nos pays », déclare M. Kenner. Sur le site Internet du film, les deux réalisateurs détaillent la forme que peut prendre cette action, dont manger local, réduire sa consommation de viande et voter pour des politiciens qui veulent changer les choses. Une étude avait relevé qu’en 2008, Food, Inc. avait stimulé les ventes d’aliments biologiques aux États-Unis pendant au moins quelques mois. La suite aura-t-elle des effets sur nos habitudes de consommation ?
Le film est présenté sur certaines plateformes de visionnement en ligne et au cinéma Le Clap Place Ste-Foy, à Québec.
Ce texte est titré du Courrier de l’économie.