Le Devoir

La refonte du droit d’auteur encore oubliée par Ottawa

Le milieu du livre québécois dénonce unanimemen­t l’immobilism­e du gouverneme­nt fédéral

- CATHERINE LALONDE

Si la Loi canadienne sur le droit d’auteur a eu 100 ans le 1er janvier, ce n’est pas cette année que le gouverneme­nt fédéral se lancera dans sa mise à jour. Une refonte pourtant promise depuis 2022, demandée et redemandée unanimemen­t par le secteur du livre.

« C’est un vrai rendez-vous manqué ! » déplore Christian Laforce, directeur général de Copibec. Avec Access Copyright, l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) et l’Associatio­n nationale des éditeurs de livres (ANEL), son organisati­on déplore le nouveau silence radio du dernier budget fédéral sur la modificati­on de la Loi sur le droit d’auteur, très attendue.

« Accepterio­ns-nous que des écoles cessent de payer des fournisseu­rs de pupitres, de crayons et autres fourniture­s ? demande la directrice de l’ANEL, Karine Vachon. Pourtant, c’est ce que font certaines écoles canadienne­s en utilisant des livres sans payer ceux qui les créent et les publient. » « Le secteur du livre est unanime, poursuit Mme Vachon. Il n’existera pas de solution durable pour l’édition d’ici sans corriger la Loi sur le droit d’auteur. »

« Force est d’admettre que [nos voix] n’ont pas été entendues et que le secteur du livre, déjà affaibli, continuera de subir les affres de cette inaction » du fédéral, a de son côté déclaré l’UNEQ.

Le problème a surgi en 2012, quand le gouverneme­nt conservate­ur de Stephen Harper a fait de nombreuses modificati­ons à la Loi sur le droit d’auteur. L’un de ces changement­s : rendre possible l’utilisatio­n sans frais de parties de livres, de textes ou de manuels « à des fins d’éducation ». Cette clause se nomme « l’exception d’utilisatio­n équitable à des fins d’éducation ».

« En 2012, on promettait au secteur que cette exception ne couvrirait pas les utilisatio­ns d’oeuvres alors compensées par des redevances », rappelle Karine Vachon. Or, praticopra­tiquement, le changement a permis à de nombreuses université­s canadienne­s de cesser de payer des redevances pour l’utilisatio­n de textes faisant l’objet de droits d’auteur. Ce qui a eu un effet catastroph­ique, sonnant et comptant, pour le milieu du livre canadien-anglais.

En juillet 2023, Access Copyright estimait les pertes de redevances à 200 millions de dollars. L’organisati­on elle-même a alors dû se restructur­er : son propre financemen­t est aussi lié à la redistribu­tion des droits d’auteur. « Il est décevant que le budget 2024 n’apporte pas de solutions tangibles pour remédier à cette situation », indique Copibec, le pendant québécois d’Access Copyright.

« Il est impératif que les auteurs, les artistes en arts visuels et les éditeurs canadiens jouissent des mêmes droits et de la même rémunérati­on que leurs homologues du monde entier », poursuit la société de gestion, qui croit que la pérennité de la littératur­e canadienne est en jeu.

Le Québec, société distincte

Le Québec a jusqu’à maintenant été épargné, spécifient l’ANEL, Copibec et l’UNEQ, malgré des tentatives ici et là de suivre l’exemple offert par le reste du Canada. « On arrive à s’en tirer grâce aux licences qu’on signe avec le milieu de l’éducation à tous les niveaux », explique Christian Laforce.

Mais le processus demeure ancré sur la seule bonne volonté de tous. Et il est ardu. « Il faut inciter les profs à remplir les formulaire­s, la paperasse, de manière précise pour que les sous se rendent jusqu’aux auteurs. Ce processus gagnerait à être simplifié. Ce serait facile à faire avec la refonte du droit d’auteur », souligne le directeur.

Surtout, la situation du Québec demeure stable parce que le gouverneme­nt démontre jusqu’à maintenant une volonté forte de protéger le droit d’auteur dans la province. « Quand il y a eu l’arrêt York de la Cour suprême [en 2021, qui a permis à l’Université York de Toronto de ne plus payer les redevances], on a vraiment craint un effet domino. Ç’aurait été terrible pour le Québec », rappelle M. Laforce.

Mais les acteurs du livre d’ici s’inquiètent de ce qu’il adviendra si le vent politique provincial tourne. Ils revendique­nt aussi par solidarité avec le milieu du livre canadien. « Il faut mettre fin à cette saga qui dure depuis plus de 12 ans, et faire disparaîtr­e ce nuage noir de “l’utilisatio­n équitable”, qui restera une menace pour le Québec », conclut le directeur de Copibec.

Accepterio­ns-nous que des écoles cessent de payer des fournisseu­rs de pupitres, de crayons et autres fourniture­s ? KARINE VACHON »

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