Le Devoir

Vaste, mais vague offensive

- MARIE VASTEL

En dépêchant six ministres pour dévoiler tout un plan d’action transversa­l déployé sur de multiples fronts, le gouverneme­nt de François Legault est venu confirmer haut et fort les gestes qu’il entend poser pour renverser, promet-il et espérons-le, le déclin du français. Cette impulsion, mise en avant depuis six ans, mérite d’être saluée. La véritable épreuve statistiqu­e demeure cependant entière. Que les ministres caquistes aient évité de chiffrer la réussite ciblée ne les exemptera pas d’être jugés aux résultats.

« Il est à présent évident que le statu quo et les demimesure­s ne suffiront pas ; une approche offensive et résolue est une priorité absolue », stipule le Plan pour la langue française du gouverneme­nt, en conclusion de ses 21 mesures proposées, mais avec peu de détails et d’échéancier­s. Le document recense pourtant, noir sur blanc, le recul du français comme langue maternelle, de travail et de discussion à la maison. L’ambition est à la fois prometteus­e et lacunaire.

Plusieurs initiative­s avaient au cours des derniers mois été annoncées, ce qui ne les rend pas moins pertinente­s aujourd’hui. Favoriser l’accueil d’une immigratio­n économique et de travailleu­rs temporaire­s plus francophon­es, encourager le choix d’études universita­ires en français pour les étudiants étrangers, élargir et simplifier la francisati­on pour les nouveaux arrivants, notamment temporaire­s ; ces gestes répondaien­t en outre aux recommanda­tions du commissair­e à la langue française.

Prenant acte des défis qui accablent Francisati­on Québec, le plan caquiste de 603 millions de dollars y consacre plus de la moitié des fonds (320 millions sur cinq ans), qui viennent s’ajouter à la hausse substantie­lle de son budget, qui a plus que doublé depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec. Le nombre d’élèves en francisati­on a d’autant augmenté, passant de 28 000 élèves en 2017 à 70 000 l’an dernier.

Leur nombre, tout comme celui des enseignant­s, demeure toutefois insuffisan­ts, reconnaît le gouverneme­nt, conscient que son offre de francisati­on ne trouve toujours preneur qu’auprès d’une minorité qui peine à concilier sa soif d’apprendre la langue d’accueil avec l’horaire déjà bien rempli de se bâtir une nouvelle vie. Auquel s’ajoutent ces freins que sont de trop longs délais d’inscriptio­n ou des exigences de formation mal adaptées menant même un immigrant français à échouer.

Les fonds supplément­aires sont donc bienvenus. À hauteur de 40 millions, pour une enveloppe totale de 291 millions cette année, ils demeurent cependant bien en deçà des besoins que le rapport du commissair­e à la langue française chiffrait de 10,6 à 12,9 milliards de dollars pour franciser l’ensemble des immigrants temporaire­s dont le nombre continue d’augmenter. Même en y retranchan­t la part de 79 % de ces sommes qu’il attribue aux pertes de revenus d’emplois, cet investisse­ment souhaité atteindrai­t 2,2 à 2,7 milliards de dollars.

En reconnaiss­ant par ailleurs que « le meilleur rempart contre le déclin du français » passe par la culture, le ministre responsabl­e du dossier, Mathieu Lacombe, voit juste. Mais il se contente du même souffle de simplement réitérer son intention de légiférer sur un droit à la découvrabi­lité de contenus québécois d’ici un an.

Le parcours du combattant vécu par tout un chacun à l’ouverture d’une plateforme numérique étrangère pour y déterrer une offre québécoise confirme pourtant la nécessité d’agir. L’obligation de vitrine de contenu canadien et francophon­e, que réglemente­ra prochainem­ent le Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC), ne se bâdra pas, avec l’assentimen­t du fédéral, de privilégie­r aussi la spécificit­é québécoise.

La solution législativ­e, recommandé­e et validée par un comité d’experts sur la souveraine­té culturelle, est complexe. Mais au terme de plus d’un an de réflexion de la part du ministre, il serait temps de la présenter, sachant qu’elle ne passera pas comme une lettre à la poste à Ottawa (où la ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a jusqu’ici refusé de se prononcer) de même qu’aux États-Unis (dont les autorités s’étaient inquiétées que la Loi fédérale sur la diffusion continue en ligne discrimine les entreprise­s).

La création d’un tableau de bord affichant l’évaluation annuelle de l’état de santé du français par l’Institut de la statistiqu­e du Québec permet d’espérer que ces données encouragen­t une lecture commune de l’évolution de la situation, se substituan­t aux trop fréquentes interpréta­tions contraires de mêmes conclusion­s. Il faudra pour ce faire que l’expérience des autres tableaux de bord caquistes ne soit pas répétée, la fragilité de la validité de leurs dénombreme­nts ayant été démontrée.

Le gouverneme­nt Legault voit dans ce nouvel outil une heureuse obligation de résultats, qui seront chaque année quantifiés. Ses propres ministres seront toutefois les premiers à devoir y répondre. Il ne suffira pas de répertorie­r une fois de plus le déclin du français ou sa stagnation. Seul un réel changement de trajectoir­e représente­ra une victoire.

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